Cancérologie
Publié le 03 nov 2022Lecture 6 min
Recommandations en cardio-oncologie : que retenir pour la pratique ?
Stéphane EDERHY(1) et coll.*, service de cardiologie, hôpital Saint-Antoine, unité de cardio-oncologie (UNICO) et groupe de recherche en cardio-oncologie (GRECO), Paris
La cardio-oncologie est une nouvelle spécialité dont les fondements ont été décrits dans une publication de l’ESC décrivant les bases et l’organisation des unités et services de cardio-oncologie(1). Cet effort de structuration indispensable à une meilleure prise en charge des patients atteints de cancer et exposés à une chimiothérapie potentiellement cardiotoxique doit s’appuyer sur des formations et enseignements permettant d’assurer une prise en charge actualisée dans un domaine où les connaissances, la description des toxicités évoluent rapidement impliquant un effort de mise à jour régulier. La publication de consensus, d’avis d’experts et plus récemment de recommandations à la fois par l’ESC et l’AHA a permis de préciser de nombreux parcours de soins, notamment dans le domaine de la gestion des toxicités cardiaques et du recours à l’imagerie(2,3).
La publication des recommandations de l’ESC en août 2022 constitue une phase importante à la fois pour la visibilité, la crédibilité et l’organisation de cette spécialité(4). Ce document de près de 130 pages, précise et propose une structuration des différents temps de prise en charge des patients atteints de cancer, notamment en décrivant les bilans préthérapeutiques des projets oncologiques contenant des anthracyclines (ATC) ou immunothérapies (IMT) que nous décrirons dans cet article. Elles décrivent en outre la gestion des complications spécifiques, notamment de l’insuffisance cardiaque et de la dysfonction systolique du VG sous ATC et anti-HER2, l’hypertension artérielle et l’allongement de l’intervalle QT sous thérapies ciblées. Parallèlement, de nouveaux chapitres apparaissent dans ces recommandations, précisant la prise en charge de situations fréquentes et jusqu’ici n’ayant jamais fait l’objet de recommandations (FA). Enfin, un effort important a été porté sur la description de la prise en charge des adultes et jeunes adultes survivants à un cancer.
• Prise en charge des patients traités par anthracyclines
Les recommandations ESC 2022 insistent sur l’importance de l’évaluation de tous les patients avec un cancer devant recevoir un traitement cardiotoxique afin d’évaluer leur risque de cardiotoxicité (classe I) en amont de l’introduction des ATC. C’est le score de risque HFA-ICOS qui est retenu (tableau 1), score basé sur les antécédents cardiovasculaires des patients, les biomarqueurs cardiaques, les données de l’ETT et l’histoire oncologique. Le calcul du score peut sembler complexe et chronophage, mais l’ESC met à disposition dans son application un calculateur intégré permettant un calcul rapide de celui-ci (tableau 2).
Pour les patients devant recevoir des ATC, l’évaluation préthérapeutique comprendra donc pour tous les patients 1) un examen clinique ; 2) un ECG (classe I), un dosage de biomarqueurs (classe I chez les patients à haut risque de cardiotoxicité, IIa pour les risques bas et intermédiaires) et une ETT (classe I). Ces recommandations rappellent la place centrale de l’ETT pour l’évaluation de la fonction ventriculaire gauche avec une mesure de la FEVG 3D et du strain (classe I). L’IRM cardiaque sera proposée aux patients les moins échogènes (classe IIa) et la FE isotopique doit rester un examen de dernier recours si l’ETT ou l’IRM cardiaque ne sont pas disponibles ou ne permettent pas une mesure fiable de la FEVG (classe IIb). Au terme de cette évaluation, on pourra distinguer 3 populations de patients : une population à bas risque, risque intermédiaire et haut ou très haut risque.
Bien que non intégré à ce calcul de risque, les patients recevant une dose de doxorubicine > 250 mg/m2 seront considérés comme à plus haut risque de cardiotoxicité.
Comment surveiller un patient sous anthracyclines
Le schéma de surveillance proposé doit être adapté au niveau de risque de cardiotoxicité du patient déduit du score HFA-ICOS.
Chez les patients à bas risque, une ETT devra être réalisée 1 an après la fin du traitement (classe I). Il n’est pas nécessaire de faire une surveillance des biomarqueurs cardiaques (classe IIa).
Chez les patients à risque intermédiaire, une ETT devra être réalisée après 250 mg/m2 (classe IIa) puis 1 an après la fin du traitement (classe I). Il conviendra de doser les biomarqueurs cardiaques toutes les 2 cures et à 3 mois après la fin du traitement.
Chez les patients à haut et très haut risque, la surveillance sera renforcée avec une ETT toutes les 2 cures puis à 3 et 12 mois après la fin du traitement. La surveillance des biomarqueurs se fera à toutes les cures puis à 3 et 12 mois après la fin du traitement (classe I).
Comment surveiller un patient à distance de l’administration des anthracyclines
Une nouvelle évaluation des patients ayant reçu des anthracyclines se fera un an après la fin de la chimiothérapie pour décider du schéma de surveillance des patients ayant survécu au cancer. On reclassera à haut risque le patient ayant reçu plus de 250 mg/m2 de doxorubicine ou une association doxorubicine/ radiothérapie, ayant fait de la cardiotoxicité myocardique ou ayant développé une cardiopathie au cours du traitement anticancéreux (tableau 3).
Il est recommandé chez tous les patients ayant reçu un traitement cardiotoxique d’avoir un dépistage annuel des facteurs de risque cardiovasculaire. Chez les patients à haut ou très haut risque, on y ajoutera la réalisation d’une échographie cardiaque à 1, 3 et 5 ans de la fin du traitement puis tous les 5 ans (classe IIa). Chez les patients à risque intermédiaire, une ETT pourrait se discuter tous les 5 ans (classe IIb) (tableau 3).
Ces recommandations insistent aussi sur la surveillance des patients ayant reçu des anthracyclines dans l’enfance ou l’adolescence, population à haut risque de cardiotoxicité. Chez les patients ayant reçu 100-250 mg/m2 de doxorubicine ou une association doxorubicine radiothérapie, une ETT devra être réalisée tous les 5 ans en plus d’un dépistage annuel des facteurs de risque cardiovasculaire (classe IIa). Elle sera réalisée tous les 2 ans chez les patients ayant reçu plus de 250 mg/m2 ou une association radiothérapie/doxorubicine avec des doses plus importantes.
• Myocardites et immunothérapies
La myocardite IMT est la complication cardiovasculaire la plus grave liée à ces traitements. Même si les niveaux de preuve sont encore faibles, les recommandations de l’ESC 2022 proposent des critères diagnostiques, de surveillance au cours de l’administration des IMT et de prise en charge en cas de myocardite avérée.
Les critères diagnostiques des myocardites sous IMT reposent sur un raisonnement probabiliste combinant les résultats de l’examen clinique avec notamment la recherche de signes cardiovasculaires (dyspnée, douleur thoracique, lipothymie, syncope), musculaires (ptosis, myosite, myasthénie like), ECG (trouble du rythme, de la conduction), biologique (élévation de la troponine Us I ou T), et des résultats des principaux examens complémentaires (ETT, coronarographie et IRM cardiaque) (tableau 4). Le diagnostic de certitude repose sur les résultats de la biopsie endomyocardique si celle-ci est réalisée, ou sur l’association d’une élévation du taux de troponine et d’un critère majeur ou deux mineurs, après avoir éliminé une autre cause (notamment un syndrome coronarien aigu) (tableau 4).
Toute suspicion de myocardite doit conduire à une hospitalisation urgente idéalement en secteur monitoré permettant la réalisation rapide des examens complémentaires et la surveillance. Les cas doivent être classés en fonction de la sévérité de la présentation clinique (forme non fulminante, forme fulminante, forme réfractaire à la corticothérapie) pour guider la prise en charge basée en 1re ligne sur la corticothérapie le plus souvent et éventuellement une immunosuppression plus intense pour mes formes fulminantes ou corticorésistante. Dans la majorité des cas, les IMT seront arrêtés définitivement après une discussion multidisciplinaire.
• Surveillance des patients sous IMT
Afin de dépister précocement les effets indésirables cardiovasculaires, les recommandations ESC 2022 proposent un protocole de surveillance qui diffère en fonction du risque de base du patient (tableau 5). Les conditions associées à un risque élevé de toxicité comprennent la combinaison de deux IMT ou d’une IMT avec d’autres thérapies cardiotoxiques, les patients présentant des événements non cardiovasculaires liés aux ICI, les antécédents de cardiotoxicité ou de cardiopathies. Tous les patients doivent bénéficier d’un ECG et d’un dosage de troponine et de peptides natriurétiques avant le début de l’IMT. Les patients à haut risque doivent également être explorés par une échocardiographie transthoracique. Même si le niveau de preuve est très faible, il est recommandé, une fois le traitement initié, que l’ECG et la troponine soient vérifiés particulièrement au début du traitement.
Publié dans Cardiologie Pratique
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