Cancérologie
Publié le 07 déc 2022Lecture 11 min
Évaluation du risque de cancer du sein - Vers un dépistage personnalisé ?
Mahasti SAGHATCHIAN et coll.*, Pôle oncologie, Hôpital américain de Paris, Neuilly-sur-Seine
Tel qu’il est pratiqué actuellement en France chez les femmes de 50 à 74 ans, le dépistage organisé, même s’il est efficace, montre ses limites : sensibilité et spécificité imparfaites (17 % de cancers d’intervalle, stress dû à des biopsies inutiles), sur-diagnostic, irradiation inutile, faibles taux de participation, etc. le besoin d’un dépistage personnalisé, dont la fréquence et les modalités dépendent du risque de chaque patiente, est reconnu : certaines femmes ont besoin d’un dépistage plus fréquent, et ce, avant 50 ans. le développement de nouveaux outils grâce aux progrès scientifiques dans le domaine des big data, de l’imagerie et de la génétique permet aujourd’hui aux médecins et à leurs patientes d’avoir une approche individualisée du dépistage du cancer du sein.
Des centres comme le Women’s Risk Institute de l’Hôpital américain de Paris proposent aujourd’hui un dépistage personnalisé. Les premiers résultats parmi des femmes de 40 à 70 ans, montrent que 25 % d’entre elles ont un risque plus élevé que la moyenne de développer un cancer du sein, qui justifierait un dépistage plus intensif que celui recommandé actuellement (une mammographie tous les deux ans à partir de 50 ans). Parmi elles, 27 % sont âgées de 40 à 49 ans, tranche d’âge pour laquelle il n’existe aujourd’hui aucune recommandation de dépistage.
Le dépistage organisé aujourd’hui
Tel qu’il est pratiqué actuellement en France chez les femmes de 50 à 74 ans, le dépistage organisé, même s’il est efficace, montre ses limites. Malgré des sceptiques qui continuent à douter des bénéfices du dépistage et mettent en avant ses limites, la grande majorité des données de la littérature scientifique permet de démontrer que la mammographie de dépistage réduit le risque de décès par cancer du sein. Une métaanalyse de huit essais cliniques randomisés impliquant plus de 600 000 femmes a conclu que la mammographie est associée à une réduction de 19 % du risque relatif de mortalité par cancer du sein, réduction qui diffère selon l’âge, variant d’environ 8 % du risque relatif chez les femmes âgées de 39 à 49 ans à 33 % du risque relatif chez les femmes de 60 à 69 ans(1) .
Le manque d’adhésion au programme de dépistage organisé en France (à peine 50 %) illustre l’intérêt pour les cliniciens de mettre en place une réelle décision partagée avec leurs patientes : personnaliser la proposition de dépistage pour chaque femme en fonction de ses bénéfices/risques individuels. C’est également une des conclusions du rapport publié en 2016 par le comité́ d’orientation qui a mené́ la concertation citoyenne et scientifique mise en place par le ministère des Affaires sociales et de la Santé(2) .
Étude clinique MyPeBs
MyPeBS (My Personal Breast Screening) démarrée fin 2018 est une étude randomisée européenne (85 000 femmes en France, Belgique, Italie, Espagne, Royaume-Uni et Israël) qui vise à comparer le dépistage personnalisé, en fonction du risque individuel de chaque femme, aux programmes actuels nationaux de dépistage organisé. L’objectif principal de MyPeBS est de démontrer la non-infériorité d’un dépistage personnalisé à l’échelle populationnelle, les autres objectifs portant sur les aspects médico-économiques et psychosociétaux
D’autres études comparables sont en cours aux États-Unis (Wisdom) et au Canada (Perspective). Si les performances des scores de risques sont validées pour l’évaluation du risque et sa prise en charge à l’échelle individuelle, il faudra attendre les résultats de ces études pour conduire les autorités de santé à émettre des recommandations officielles de dépistage organisé, personnalisé selon le risque de cancer du sein.
Principaux facteurs de risque
Un cancer n’est jamais le résultat d’une cause unique. Il faut un ensemble de facteurs, souvent susceptibles d’interagir entre eux, pour que la maladie se développe.
Âge
Le risque de cancer du sein augmente avec l’âge. C’est le premier facteur de risque de cancer du sein.
Antécédents familiaux et facteurs génétiques
La présence de personnes de la famille proche ayant eu un cancer du sein est un facteur important de risque de cancer du sein, d’autant plus si le cancer du sein a été diagnostiqué à un âge jeune chez des membres de la famille. De 20 à 30 % des cancers du sein se manifestent chez des femmes ayant plusieurs cas de cancer du sein
dans leur famille proche (mère, sœur, grand-mère voire plus rarement frère ou père, le cancer du sein pouvant également toucher les hommes). Une consultation de génétique doit être proposée aux femmes ou aux familles présentant un potentiel risque génétique de cancer du sein.
Pathologies bénignes du sein et antécédent de biopsie mammaire
Les maladies bénignes du sein correspondent aux maladies non cancéreuses du sein. En effet, certaines lésions, comme les kystes, sont fréquentes, mais ne sont pas associées à une augmentation du risque de cancer du sein. À l’inverse, la découverte d’autres lésions bénignes, comme les papillomes, peut augmenter le risque de cancer du sein et nécessiter une surveillance rapprochée.
Densité mammaire
Les radiographies des seins permettent au radiologue de déterminer la densité mammaire d’une femme. Elle n’a rien à voir avec la taille, l’apparence ou la consistance des seins. Elle correspond au taux de graisse dans le sein. Plus le sein est de type « graisseux », plus la densité est faible. La densité mammaire varie avec l’âge. Les femmes avec une densité mammaire importante sont à risque plus élevé de cancer du sein : les femmes avec la densité la plus élevée ont 4 à 6 fois plus de risque de développer un cancer du sein au cours de leur vie que les femmes dont les seins sont presque entièrement « graisseux ».
Facteurs de risque secondaire
D’autres paramètres ont été identifiés comme facteurs de risque de développer un cancer du sein ou comme facteurs protecteurs, même si leur impact est moins déterminant que les précédents : alcool, surpoids et obésité (après la ménopause), contraception orale (pilule), traitement hormonal substitutif de la ménopause, âge des premières règles, âge à la naissance du premier enfant, âge de la ménopause, nombre d’enfants, durée de l’allaitement et activité physique.
Focus sur les facteurs génétiques
Il existe différents types de variants génétiques généralement associés à une histoire familiale lourde de cancer du sein ou de l’ovaire :
- de très rares variants à haute pénétrance, au sein de la famille des gènes BRCA ;
- de rares variants à pénétrance intermédiaire (gènes PALB2, ATM et CHEK2).
Facteurs génétiques multifactoriels, indépendants de l'histoire familiale
Ce sont des variants fréquents qui correspondent à des variations (ou polymorphismes) d’une seule base nucléotidique (Single Nucleotide Polymorphism ou SNP). Individuellement, chaque SNP identifié a un effet modéré sur le risque de cancer du sein. Lorsqu’ils sont combinés, sous la forme d’un score de risque polygénique (PRS), leur impact est comparable aux autres facteurs de risque tels que la densité mammaire. Le PRS est un risque relatif qui peut être combiné à un score de risque prenant en compte les autres facteurs de risque. Les études ont montré qu’un PRS peut être utilisé, au côté des autres facteurs de risque cliniques, pour stratifier les femmes dans différentes catégories de risque.
Modèles de risque
Il existe aujourd’hui différents modèles de risque qui permettent d’évaluer le risque pour une femme de développer un cancer du sein dans les prochaines années.
En population générale :
– le modèle de Gail (Harvard, USA)(3) ;
– le calculateur de risque du BCSC (Breast Cancer Surveillance Consortium, USA)(4) ;
– le kNN, modèle des plus proches voisins, (test Mammo-Risk, USA et France)(5).
Pour la population à risque familial :
– le modèle de Tyrer-Cuzick (Royaume-Uni)(6) ;
– le modèle Boadicea (Royaume-Uni)(7) ;
– le modèle de Claus (USA)(8) ;
– le score d’Einsinger (France)(9).
Chacun de ces différents modèles (BCSC, MammoRisk, Boadicea, etc.) s’appuie sur des modèles mathématiques et/ou algorithmiques différents, avec des capacités de prédiction de risque comparables. Il a été prouvé que l’intégration du score PRS dans les modèles d’estimation du risque augmente les performances de l’ensemble des modèles. Leur différence réside principalement dans les populations au sein desquelles ils ont été développés (États-Unis, Royaume-Uni, Europe, etc. ; population de dépistage sans risque spécifique ; cohorte de femmes à risque familial) et donc leur applicabilité au sein de ces différentes populations.
Les modèles de prédiction de risque intégrant les facteurs de risque génétiques et non génétiques permettent l’identification objective et systématique des femmes à risque accru de cancer du sein afin de leur proposer le dépistage et la surveillance appropriés.
Le risque de cancer du sein n’est pas une fatalité
Un certain nombre de facteurs liés au mode de vie (obésité, consommation d’alcool, activité physique et régime alimentaire équilibré) ont été associés au risque de cancer du sein. Une étude récente menée par Rhonda et coll. a montré l’impact d’un mode de vie globalement sain sur le risque de cancer du sein en fonction des catégories de risque génétique (évalué par un PRS)(10) . Dans l’ensemble, un mode de vie globalement sain est associé à une réduction de près de 27 % du risque de cancer du sein. Cette réduction du risque lié à un mode de vie globalement sain est particulièrement observée chez les femmes qui présentent un risque génétique élevé (PRS), et de façon plus importante avant la ménopause (figure 1).
Figure 1. associations entre le score HlI et le risque génétique de cancer de sein (calculé par un Prs) au sein des femmes de l’étude UK-Biobank*.
HLI : Healthy Life Index. De faible à élevé = mode de vie de plus en plus sain (activité physique, alimentation équilibrée, tabac, alcool…).
Un HLI faible est considéré comme la référence.
* Les auteurs comparent pour chaque catégorie de PRS (faible à élevé : risque de cancer du sein de plus en plus élevé), l’impact du mode de vie évalué par l’index HLI. On observe une diminution du risque de cancer du sein avec l’augmentation du HLI, quelle que soit la catégorie du PRS. Cette diminution est d’autant plus marquée que le PRS est élevé.
Ainsi, le fait d’avoir un PRS élevé augmente évidemment le risque de cancer du sein, mais les auteurs ont démontré que ce risque n’est pas une fatalité et qu’il peut être modulé de façon substantielle en fonction du mode de vie de la patiente. Ces travaux contribuent à montrer l’intérêt des conseils de prévention dans le cancer du sein.
Des données présentées par une équipe française (Deschasaux et coll.) au congrès de San Antonio Breast Cancer Symposium 2020 montrent l’impact positif de l’adhésion aux recommandations du WCRF (World Cancer Research Fund) sur le risque de survenue cancer du sein. Ces résultats viennent conforter l’intérêt des conseils de prévention pour diminuer le risque du cancer du sein(11).
Le Women’s risk Institute
Il apparaît donc possible de réaliser de la prédiction de risque de cancer du sein en pratique courante au sein de structures spécialisées dans la prise en charge du cancer.
C’est à partir de ce constat que le Women’s Risk Institute a été mis en place par le Pr Mahasti Saghatchian à l’Hôpital américain de Paris pour amener la médecine personnalisée vers le champ de la prévention des cancers grâce au développement d’outils technologiques d’intelligence artificielle, d’imagerie et de biologie moléculaire performants. L’objectif du Women’s Risk Institute est d’identifier le risque individuel de chaque femme de développer un cancer du sein pour lui proposer une surveillance adaptée et une prévention ciblée (figures 1 et 2).
Figure 2. Workflow au WrI.
Dans le cadre du Women’s Risk Institute, afin d’estimer le risque personnalisé de cancer du sein, il est proposé aux patientes de la population générale (sans histoire familiale évocatrice de mutation délétère) le test MammoRisk à partir de 40 ans. En revanche, si les patientes ont une histoire familiale plus importante, elles sont orientées selon leur profil, soit vers une consultation en oncogénétique, soit vers un autre modèle de risque : le score Tyrer-Cuzick ou le score Boadicea (figure 3). Une consultation finale de synthèse est assurée par un oncologue médical qui remet à la patiente son évaluation individuelle de risque de cancer du sein et définit avec elle un programme personnalisé de surveillance et de prévention.
Figure 3. arbre décisionnel du WrI.
Premiers résultats du Women’s risk Institute
Les premiers résultats présentés au congrès de San Antonio en décembre 2020 sur une population de 175 patientes âgées de 40 à 70 ans sont les suivants : 25 % des femmes ont révélé un risque plus élevé que la moyenne de développer un cancer du sein, qui justifierait un dépistage plus intensif que celui recommandé aujourd’hui (une mammographie tous les deux ans à partir de 50 ans). Parmi elles, 27 % sont âgées de 40 à 49 ans, tranche d’âge pour laquelle il n’existe aujourd’hui aucune recommandation de dépistage.
Cas clinique
Une femme de 58 ans se présente en novembre 2019 au Women’s Risk Institute pour un bilan annuel de santé.
Antécédents familiaux : mère cancer du sein à 70 ans. Pas d’antécédents personnels notables. Elle réalise une mammographie et une échographie mammaire dans le cadre du bilan : pas d’anomalie identifiée, seins de densité de type C.
Elle demande une estimation de son risque de cancer de sein avec le test MammoRisk. Avec un PRS = 2, son risque de cancer du sein avec MammoRisk est estimé à 5,2 % soit une catégorie de risque élevé qui justifie dorénavant un suivi annuel.
En octobre 2020, nouvelle visite au WRI. Son risque élevé amène la gynécologue à faire un examen clinique minutieux : détection d’une petite tuméfaction à l’aisselle qui a priori n’a rien d’inquiétant, mais cette patiente présentant un risque élevé, la gynécologue demande au radiologue un examen particulièrement minutieux.
Le radiologue pratique une mammographie et une échographie qui retrouvent une tuméfaction axillaire centimétrique d’allure bénigne. Au vu du risque élevé, il est décidé de pratiquer une biopsie de la tuméfaction : atteinte ganglionnaire par carcinome canalaire infiltrant de grade 3, triple négatif. L’examen est complété par une IRM mammaire qui retrouve le primitif mammaire sous la forme d’un nodule de 3 mm du quadrant supéro-externe.
La patiente a pu bénéficier d’une prise en charge très rapide pour ce cancer du sein triple négatif agressif dont le diagnostic a pu être réalisé à un stade infraclinique précoce.
Publié dans Gynécologie Pratique
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