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Gynécologie

Publié le 07 mar 2023Lecture 12 min

Traitement hormonal de la ménopause : la physiologie conforte la théorie de la fenêtre critique d’efficacité

Daniel ROTTEN, Saint-Denis
Des observations expérimentales faites chez des primates non humains (des singes cynomolgus nourris avec un régime à haute teneur en graisse) ont ouvert la piste à la théorie de la fenêtre critique d’efficacité. Les bénéfices du traitement hormonal varient selon le délai écoulé entre le moment où survient la déprivation estrogénique et celui de l’initiation du traitement. Chez les humains, l’âge de début de l’hormonothérapie agit selon le même paradigme. Selon cette conception, le délai écoulé entre le moment où survient l’arrêt de la sécrétion estrogénique et l’âge de début de l’hormonothérapie seraient, isolément ou associés, la traduction indirecte de l’état des issus vasculaires sous-jacents. Une fois l’endothélium vasculaire endommagé et le degré d’athérosclérose trop important, le traitement hormonal sera, au mieux, inefficace. Appliquée aux études épidémiologiques, cette théorie réconcilie leurs résultats. Mais il reste à faire le lien entre épidémiologie et physiopathologie.
 
C’est ce qu’ont fait H.N. Hodis et al.(1) et I. Sriprasert et al.(2), en comparant chez des femmes traitées la progression des lésions infracliniques d’athérosclérose en fonction du délai de début de l’hormonothérapie.
Rappel d’histoire(3,4)   Dans les dernières années de la décennie 1980, plusieurs études observationnelles, qu’elles soient prises en compte individuellement ou réunies en méta-analyses avaient montré que le traitement hormonal prescrit chez les femmes après la ménopause a un effet bénéfique préventif net.   Pathologies cardiovasculaires, ostéoporose, survenue de démence et mortalité toutes causes confondues voyaient leur taux diminuer. Par exemple, la méta-analyse de D. Grady et al.(5) démontrait une baisse nette de survenue des affections cardiovasculaires (RR : 0,65 ; IC95 % : 0,59-0,71) et une augmentation de la longévité des utilisatrices.   Le bénéfice était considéré comme tel que l’effet négatif des progestatifs, dont on avait montré qu’ils atténuaient l’efficacité de l’estrogénothérapie, était considéré comme accessoire. Prescrire systématiquement le traitement hormonal en tant que stratégie préventive devint une recommandation de l’American College of Physicians en 1992.   Dans les dernières années de la décennie 1990 et au début des années 2000, les résultats de plusieurs essais randomisés ont été disponibles. Ces études, contrairement aux précédentes, montraient que le risque de coronaropathie était augmenté chez les utilisatrices, au point d’effacer les autres bénéfices. Des essais de prévention secondaire, c’est-à-dire chez des femmes ayant une pathologie cardiovasculaire avérée, n’ont pas non plus montré de bénéfice. Chez ces patientes, un effet biphasique était observé. Dans un premier temps, la mise en route du traitement s’accompagnait d’une aggravation, avec augmentation du risque de pathologie cardiovasculaire, d’AVC, d’embolie pulmonaire et de cancer du sein.   C’est seulement à distance qu’une amélioration se manifestait. Mais globalement, le traitement hormonal ne pouvait pas être considéré comme bénéfique. Les études randomisées étant considérées comme le gold standard, le traitement hormonal cessa d’être prescrit, même chez les femmes présentant une symptomatologie ménopausique handicapante.   Restait à expliquer cette divergence paradoxale entre études observationnelles et études randomisées. Plusieurs biais possibles furent considérés. Dans le cas des études observationnelles, le choix préférentiel de prendre un traitement hormonal par des utilisatrices bien portantes a été évoqué. Mais les ajustements statistiques ont éliminé tour à tour les différents biais.   La théorie de la fenêtre critique d’efficacité   En réalité, il apparaît que les patientes incluses dans les études observationnelles ont souvent commencé la prise de l’hormonothérapie dans un délai court après la survenue de la ménopause, typiquement dans les deux ans, et sont dans la cinquantaine. Les patientes incluses dans les essais randomisés sont plutôt dans la soixantaine, avec un délai entre survenue de la ménopause et début du traitement ≥ 10 ans. Il est probable que beaucoup des premières ont commencé le traitement pour soulager des symptômes ménopausiques alors que les secondes ont été enrôlées tardivement, dans le cadre d’une prévention généralisée. Les statisticiens ont donc repris leurs calculettes et réanalysé les résultats des essais randomisés, en tenant compte de ces données chronologiques. Les patientes ont été séparées en deux strates : ménopause « récente » lors de l’inclusion (schématiquement, âge < 60 ans ou ménopause survenue dans un délai < 6 ans) ou, au contraire, ménopause « distante » lors de l’inclusion (âge ≥ 60 ans ou ménopause survenue dans un délai ≥ 10 ans).   Il apparaît alors que les résultats diffèrent en fait entre ces deux sous-groupes, et quelle que soit la méthodologie d’étude. Par exemple, S.R. Salpeter et al.(2009) ont fait la méta-analyse de 27 essais comportant un groupe « ménopause récente », caractérisé ici par un âge moyen des femmes < 60 ans lors de leur inclusion dans l’essai (19 essais randomisés, 8 études observationnelles).   Le paramètre étudié est la mortalité toutes causes confondues. Résultat : le risque relatif est de 0,78 (intervalle de crédibilité à 95 % : 0,69-0,90)pour les études observationnelles, et de 0,73 (ICr-95 % : 0,52-0,96) pour les essais randomisés.   Le résultat combiné est un risque relatif de mortalité de 0,72 (ICr-95 % : 0,62-0,82). Ceci correspond, sur 5 ans de traitement, à une réduction relative de mortalité de 20-30 %. La réduction de risque absolu est proche de 1 % (calculée pour les études randomisées, le risque absolu de mortalité passe de 2,8 % dans les groupes « placebo » à 1,8 %dans les groupes « traitement hormonal »). Le tableau 1 présente une synthèse de l’effet différentiel du traitement hormonal sur le profil bénéfice/risque en fonction des deux groupes d’âge chronologique.     L'étude physiopathologique(1,2)   L’essai ELITE (Early versus Late Intervention Trial with Estradiol) étudie l’effet de l’estradiol sur la progression de l’athérosclérose préclinique asymptomatique lors de l’administration d’estradiol.   L’investigation porte sur deux cohortes de femmes ménopausées en fonction de la date d’instauration du traitement par rapport à la date de survenue de la ménopause. Deux sites vasculaires sont ciblés. Le premier est la carotide extracrânienne. L’épaisseur de l’inima-média (EIM) de la carotide est un témoin du remodelage vasculaire et un marqueur de la progression de l’athérosclérose et du risque de coronaropathies. Cette mesure est accessible par des procédés non invasifs. Les artères coronaires, et plus précisément, leur degré de calcification et de sténose, sont le deuxième site d’étude.   Les résultats ont fait l’objet de deux publications, une première globale(1), la seconde plus analytique, confronte les mesures observées aux taux plasmatiques d’estradiol mesurés dans les deux groupes de patientes(2).   Résultats   L’étude s’est déroulée entre 2005 et 2013. Le suivi moyen des patientes a été de 4,8 ans (extrêmes : 0,5-6,7). La cohorte « ménopause récente » comporte 248 patientes (estradiol, n = 125 ; placebo, n = 123). La cohorte « ménopause distante » comporte 348 patientes (estradiol, n = 172 ; placebo, n = 176).   Comme attendu, lors de l’inclusion, les patientes de la cohorte « ménopause distante » ont un âge moyen plus élevé que les patientes de la cohorte « ménopause récente » et ont subi plus souvent une hystérectomie.   Également, l’EIM de la carotide est plus élevée chez les patientes de la cohorte « ménopause distante ».   Évolution du taux d'estradiol A l’inclusion, les taux circulants d’estradiol sont semblables dans les deux groupes malgré la différence d’âge. Chez les patientes recevant un placebo, qu’il s’agisse des patientes de la cohorte « ménopause récente » ou de la cohorte « ménopause distante », ils ne varient pas durant la durée de l’étude par rapport aux taux mesurés à l’inclusion (figure 1).   Dans les deux groupes ayant reçu le traitement, la prise d’estradiol entraîne une augmentation du taux plasmatique moyen de l’hormone. Il est à noter que celle-ci est plus importante dans la cohorte « ménopause récente », et aboutit à un taux plasmatique plus élevé. À noter, les auteurs de l’étude ont vérifié que l’observance était élevée (98 %) et identique dans les deux groupes de patientes.   Figure 1. Évolution des taux d’estradiol plasmatique. La figure montre la moyenne et l’écart-type (traits) des taux d’estradiol plasmatique (pg/ml) mesurés lors de l’initiation du traitement, puis le taux moyen observé pendant la durée de l'étude.   Évolution de l'épaisseur de la paroi carotidienne Dans les deux cohortes, l’épaisseur de la paroi artérielle augmente avec le temps écoulé depuis le début des observations.   Dans la cohorte « ménopause récente », le taux de progression est significativement plus lent chez les patientes prenant de l’estradiol que dans le groupe placebo (tableau 2, figure 2). En revanche, dans la cohorte « ménopause distante », la prise d’estradiol ne modifie pas le taux de progression de l’EIM de la carotide par rapport à ce qui est observé chez les patientes sous placebo.   a : Moyenne (intervalle de confiance à 95 %) ; b : groupe « placebo » vs « groupe estradiol » ; c : « ménopause récente » vs « ménopause distant ». Figure 2. Variation de l’épaisseur de l’inima-média (EIM) (μm/an) selon l’ancienneté de la ménopause lors de l’initiation du traitement.     Il existe une corrélation entre l’épaisseur de la paroi de la carotide et le taux moyen d’estradiol. Mais selon que la ménopause est récente ou distante, elle se fait en sens opposé. Dans la cohorte « ménopause récente », l’EIM de la carotide diminue proportionnellement en fonction du taux d’estradiol. Cet effet est observé que l’on considère l’ensemble des patientes ou seulement les patientes des groupes recevant le traitement, donc quelle que soit l’origine de l’estradiol, endogène ou administré.   C’est l’inverse que l’on observe chez les patientes de la cohorte «ménopause distante », chez lesquelles l’EIM de la carotide est plus élevée lorsque le taux d’estradiol est plus élevé (tableau 3, figure 3). Il est remarquable que cet effet en sens inverse s’observe pour des zones de taux d’estradiol identiques.   a : épaisseur de l’inima-média ; b : moyenne (intervalle de confiance à 95%). Figure 3. Progression de l’épaisseur de la paroi (média-inima) de la carotide en fonction du taux moyen de 17-ß-estradiol plasmatique.   Évolution des marqueurs d'athérosclérose coronarienne Comme attendu, les trois marqueurs d’athérosclérose coronaire infraclinique quantifiés sont plus élevés chez les patientes de la cohorte « ménopause distante » que chez les patientes de la cohorte « ménopause récente ». Mais, quel que soit le marqueur considéré, il n’y a pas de différence entre les groupes placebo ou traitement hormonal et ce, que ce soit au sein de la cohorte « ménopause récente » ou de la cohorte « ménopause distante ». On peut remarquer que les seules mesures disponibles ont été obtenues à la fin de la période d’observation, et qu’il n’est donc pas possible d’évaluer la progression sous traitement, contrairement à l’EIM de la carotide.   En résumé   Les résultats obtenus dans l’étude montrent que la progression de l’EIM de la carotide extracrânienne, marqueur de l’athérosclérose vasculaire, est freinée par l’estrogénothérapie chez les patientes de la cohorte « ménopause récente », alors qu’il n’y a pas d’effet du traitement dans la cohorte « ménopause distante » (figure 2). En outre, l’étude démontre que dans les deux cas, l’évolution de l’EIM de la carotide est corrélée au taux d’estradiol plasmatique des patientes, mais de façon inverse. La paroi carotidienne s’épaissit d’autant plus que le taux d’estradiol est élevé chez les patientes de la cohorte « ménopause distante ». C’est le contraire qui est observé chez les patientes de la cohorte « ménopause récente » (figure 3).   Le mécanisme physiopathologique qui sous-tend cette action biphasique n’est pas connu. Une piste est proposée par les auteurs de l’étude. Il a été dé montré que les estrogènes régulent le niveau d’expression des récepteurs de l’estradiol de la paroi vasculaire et que ce taux s’abaisse à la fois en fonction du temps écoulé depuis la ménopause et en présence de lésions d’athérosclérose.   Le délai entre survenue de la ménopause et initiation du traitement hormonal serait donc un marqueur chronologique de l’état de la vascularisation sous-jacente, prédisant l’effet du traitement hormonal, ralentissement ou accélération de la progression des lésions d’athérosclérose selon les cas. Initié précocement, le traitement hormonal ralentirait la progression de lésions d’athérosclérose infracliniques, mais n’altèrerait pas leur progression une fois qu’elles préexistent.   L’étude ELITE ajoute donc une confirmation physiopathologique aux conclusions des études épidémiologiques et vient à l’appui de l’hypothèse de la fenêtre critique d’intervention concernant la pathologie coronarienne. Il faut noter cependant que, pris isolément, les résultats observés ne constituent pas une preuve directe de l’effet bénéfique de l’estradiol sur la pathologie coronaire. L’EIM de la carotide est un marqueur intermédiaire. En plus de l’athérosclérose, d’autres facteurs influent sur la survenue d’accidents coronaires, comme les ruptures de plaque ou les occlusions vasculaires thrombotiques.   Une fenêtre critique d'efficacité pour la régulation glycémique   De même qu’il existe une fenêtre critique d’efficacité de l’estradiol sur la pathologie vasculaire et coronaire, il existe une fenêtre critique d’efficacité de l’estradiol sur la régulation glucidique.   Les études épidémiologiques montrent que le traitement hormonal réduit l’incidence du diabète de type 2 de novo lorsqu’il est institué tôt au cours de la post-ménopause ; inversement, il l’augmente lorsqu’il est institué tardivement.   Comme pour la pathologie artérielle, les données épidémiologiques sont confortées par une étude physiopathologique. R.I. Pereira et al. ont étudié la sensibilité à l’insuline chez deux groupes de patientes selon que leur ménopause était récente (délai ≤ 6 ans) ou distante (délai ≥ 10 ans)(7). L’évaluation est faite avant ou après traitement par une forte dose d’estradiol administrée pendant une semaine (150 μg par jour sous forme de 3 timbres transdermiques à 50 μg). L’investigation utilise la technique du clamp hyperglycémique-euglycémique. Deux paramètres de sensibilité à l’insuline sont mesurés : l’action glycorégulatrice (clairance du glucose) de cette hormone et son action antilipolytique.   Comme le synthétise le tableau 4, lors du traitement par estradiol, la sensibilité à l’insuline est significativement augmentée lorsque la date de survenue de la ménopause est « récente » et diminuée lors qu’elle est « distante ». Par contre, l’action antilipolytique de l’insuline est diminuée par l’estradiol dans les deux groupes.       Conclusion   Les études observationnelles comme les études randomisées réévaluées montrent que, prescrit tôt après la survenue de la ménopause, ce qui correspond (ou plutôt, a longtemps correspondu…) aux habitudes de prescription françaises, le traitement hormonal a des effets bénéfiques sur de multiples appareils (pathologie cardiovasculaire, survenue de diabète, perte osseuse et fractures ostéoporotiques, mortalité toutes causes)(5). Ces études sont confirmées par des études de physiopathologie.   L’étude ELITE démontre l’existence d’un effet bénéfique du traitement hormonal sur les artères lorsqu’il est commencé après une période de déprivation estrogénique courte. La même démonstration est faite pour l’effet de l’estradiol sur la glycorégulation.   Faut-il dès lors revenir à l’estrogénothérapie systématique à titre de prévention de diverses affections chroniques pour toutes les femmes dès leur ménopause ? Souvenir de déboires passés, sagesse, prudence (peut-être excessive), les différents auteurs sont généralement réservés sur ce point. Ils mettent en garde contre d’autres risques éventuels, pas toujours bien évalués : accidents vasculaires cérébraux, calculs vésiculaires, cancer du sein lors de l’association à un progestatif… Les accidents thromboemboliques veineux ont quant à eux une place à part. Une méta-analyse récente confirme qu’il existe une augmentation de risque lorsque les estrogènes sont administrés par voie orale, en particulier les estrogènes conjugués équins. En revanche, on n’observe pas d’augmentation du risque avec l’estradiol administré par voie transdermique(8).   Deuxième point, il faut raison garder. Comme le démontrent les études épidémiologiques, l’effet du traitement hormonal est modeste. On peut rappeler que si la réduction relative de mortalité observée lors de la prise d’estrogènes est de 20-30 %, elle correspond à une réduction absolue proche de 1 %(6). La saga de l’hormonothérapie boucle un cycle. Elle est passée en quelques décennies du « systématique » au « jamais », et maintenant au « cas par cas ». Un cycle de plus pour l’estradiol, qui en compte quatre, dont un pentagonal. Publié dans Gynécologie Pratique  

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