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Nutrition

Publié le 06 nov 2023Lecture 8 min

Les édulcorants intenses ont-ils des effets paradoxaux ? Le point en 2023

Jean-Louis SCHLIENGER, Faculté de médecine, université de Strasbourg

Proposés comme des alternatives saines au sucre, les édulcorants intenses (EI) contenus dans des milliers de produits alimentaires représentent un marché de 7,2 milliards de dollars. Ils n’en sont pas moins au cœur d’une polémique incessante régulièrement entretenue par des lanceurs d’alerte. Il est vrai que les études décrivant des associations entre leur consommation et divers problèmes de santé ne manquent pas, même si les liens de causalité sont difficiles à établir. Les seuils de consommation acceptables définis par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui devraient mettre les consommateurs à l’abri de tout risque sanitaire sont-ils recevables au vu des études les plus récentes ? Le principe de précaution devrait-il s’appliquer alors qu’un rapport récent de l’OMS mentionnait une association entre la consommation des EI et le risque cardio-métabolique tout en estimant que le niveau de preuve était faible(1,2) ?

Depuis la découverte fortuite de la saccharine en 1871 par le chimiste Ira Remsen, les édulcorants intenses ont connu bien des tourments. Leur capacité à mimer le goût sucré sans élever la glycémie ni majorer les apports énergétiques leur assurait pourtant un avenir radieux dans le traitement du diabète et de l’obésité. Les premières accusations prêtant à la saccharine impliquée un effet cancérogène ont été facilement balayées. Bien d’autres ont suivi. Le danger très médiatisé des additifs alimentaires a contribué à jeter l’opprobre sur la plupart des EI dont l’innocuité a été mise en doute par diverses études (pseudo)scientifiques relayées par des rumeurs et des considérations idéologiques. L’aspartame, édulcorant largement utilisé dans les boissons et les produits alimentaires dits « allégés » pour pallier l’éviction des sucres ajoutés tant abhorrés, a été victime d’une campagne de dénigrement aussi incisive qu’infondée au prétexte qu’il induisait des cancers et des hémopathies quand il n’entraînait pas des troubles du comportement. Les agences compétentes – ANSES pour la France et EFSA pour l’Europe – saisies en 2012 à la suite d’une publication rapportant une association entre la consommation de boissons édulcorées et le risque d’accouchement prématuré se contentèrent de prôner la prudence en l’absence de preuve et de recommander la poursuite des recherches tout en affirmant que l’aspartame ne présentait pas de risques pour la santé aux niveaux autorisés en Europe. Les EI, comme tous les additifs alimentaires autorisés sont considérés comme sûrs pour la santé humaine dans les limites d’un apport quotidien ne dépassant pas la dose journalière admissible (DJA). Pas de quoi satisfaire les lanceurs d’alerte.   Quels risques pour la santé ?   Ces dernières années, les recherches sur les conséquences des EI sur la santé se sont focalisées sur les risques non oncologiques. En effet, de nombreux articles mettent en garde contre leurs effets délétères sur le microbiote, les affections métaboliques et cardiovasculaires et les troubles neurocognitifs. Dans une métaanalyse incluant des études observationnelles avec un suivi médian de 10 ans (405 907 participants) et des essais contrôlés (1 003 participants) la consommation d’EI a été associée à des modifications métaboliques modérées. Si dans les essais contrôlés les EI entraînaient une diminution non significative de l’IMC (-0,37 kg/m2, IC95% -1,10 à 0,36) sans autres modifications métaboliques, dans les études observationnelles les EI étaient associés à une augmentation modeste de l’IMC et du tour de taille ainsi qu’à une incidence plus élevée d’obésité, d’hypertension, de syndrome métabolique, de diabète de type 2 et du risque cardio-vasculaire(3). D’autres méta-analyses sont plus rassurantes.   EI et obésité La place des EI comme substituts des sucres ajoutés chez les sujets de poids normal et chez les sujets en surpoids est un sujet de débat récurrent. Les données sont discordantes, les unes faisant état de pertes de poids significatives ou d’une moindre incidence de la prise de poids quand d’autres affirment que l’usage régulier des EI est associé à une prise de poids paradoxale. Une revue des revues systématiques et des méta-analyses consacrées à ce sujet a soulevé les limites méthodologiques et les biais tant des études observationnelles que des études interventionnelles qui empêchent de conclure de façon formelle(4). L’ajustement sur les variables confondantes liées à l’adiposité atténue les associations entre les édulcorants et l’obésité ou les maladies métaboliques. Une méta-analyse récente suggère que les EI sont associés à une diminution de l’IMC lorsqu’ils sont utilisés comme substitut du saccharose chez les adultes présentant en surpoids. Cette méta-analyse n’a apporté aucune preuve suggérant que la consommation d’EI favorise la prise de poids corporel, y compris chez les enfants ou les adolescents(5). Dans un essai contrôlé randomisé en double insu mené chez des enfants en bonne santé comparant les boissons sucrées et les boissons édulcorées par de l’aspartame et du sucralose, les édulcorants étaient significativement associés à une réduction du gain de poids par rapport au sucre(6).   EI et sur-risque de diabète Jusqu’à il y a peu les EI étaient considérés avec bienveillance dans la prise en charge du diabète en raison de leur absence d’effet sur l’index glycémique et sur la réponse insulinique. Ils étaient censés faciliter l’adhésion au régime diabétique conventionnel d’où les sucres ajoutés sont évincés. La description d’une association entre EI et DT2 dans une vaste méta-analyse d’études prospectives a remis en cause l’utilité des EI comme substitut du sucre(7). L’étude de cohorte E3N EPIC portant sur plus de 1 000 femmes a retrouvé une telle association et montré une gradation du risque en fonction de la durée et du niveau de consommation. La persistance de l’association après exclusion des facteurs des risques conventionnels plaide contre un effet lié à une causalité inverse(8). Dans une autre étude portant sur plus de 40 000 sujets, les boissons sucrées, y compris les boissons édulcorées, étaient associées au risque de DT2 (RR = 1,15 ; p < 0,01)(9). Dans l’ensemble des cohortes féminines EPIC, les consommatrices d’EI avaient un sur-risque de DT2 estimé à 83 %. Le sur-risque n’étant plus que de 33 % après un ajustement supplémentaire sur l’IMC, il est vraisemblable que l’effet diabétogène supposé soit en partie médié par le surpoids ancien en partie dû à un effet intrinsèque des EI(10). L’hypothèse d’une causalité inverse ne peut pas être écartée facilement puisque les sujets consommant les EI sont plus souvent obèses et du même coup plus à risque de diabète.   EI et risque cardiovasculaire Les sucres ajoutés sont associés à un effet négatif sur le risque cardio-vasculaire en cas de balance énergétique positive, en particulier chez les sujets en surcharge pondérale. Dans la cohorte française NutriNet-Santé les participants qui consommaient des EI (37,1 %) étaient plus jeunes, plus souvent fumeurs, moins actifs, avaient un IMC plus élevé et suivaient plus souvent un régime amaigrissant. Leur profil alimentaire se distinguait par un apport calorique moindre, avec moins de graisses, de glucides, d’alcool, de fruits et légumes et de fibres, mais un apport plus important en viande rouge, charcuterie, produits laitiers, sel et boissons sans sucre. Après ajustement sur de nombreux facteurs confondants, la consommation d’édulcorants était associée à une augmentation modeste du risque de maladie cardiovasculaire [HR = 1,09 ; IC95 : 1,01-1,18 ; p = 0,03] et du risque de maladie vasculaire cérébrale [HR = 1,18 ; 1,06-1,31 ; p = 0,002], mais non du risque de coronaropathie. La consommation d’aspartame était associée au risque d’AVC, mais non au risque cardiovasculaire global. Seuls l’acésulfame et le sucralose étaient associés à une augmentation du risque coronarien. Ces résultats, qui n’apportent aucun élément explicatif, incitent à utiliser les EI avec prudence chez les seuls sujets diabétiques ou en surpoids(11).   EI et risque de cancer La cancérogénicité des EI étayée par plusieurs études expérimentales déjà anciennes n’a pas été confirmée de façon univoque par des données épidémiologiques solides. Dans la cohorte NutriNet, les consommateurs de doses supérieures à l’exposition médiane présentaient un risque plus élevé de cancer global (RR = 1,13 ; IC 1,03 à 1,25 ; p = 0,002) notamment pour le cancer du sein et les cancers liés à l’obésité chez les utilisateurs d’aspartame et d’acésulfame- K(12).   Interprétation et mécanismes   Les résultats des très nombreuses études consacrées à l’utilité et à l’innocuité des EI sont loin d’être consensuels. Qu’ils soient positifs ou négatifs, ils doivent être interprétés avec prudence en prêtant une attention particulière aux biais de sélection et aux facteurs de confusion résiduels tout en gardant à l’esprit la possibilité d’une causalité inverse. S’agissant dans l’immense majorité d’études observationnelles, les associations décrites entre la consommation d’EI et les risques pour la santé n’ont pas valeur de causalité. L’existence d’un lien avec les maladies cardio-métaboliques est pour le moins paradoxale et inattendue alors même que les EI réduisent la charge calorique et la charge glucidique, ce qui devrait contribuer au traitement de celles-ci. Plusieurs mécanismes ont été avancés : Les EI favoriseraient une augmentation de l’apport calorique en altérant les messages neurohormonaux de la régulation centrale de l’apport énergétique et l’homéostasie hédonique. En se substituant au sucre, ils renforceraient le désir de sucre et augmenteraient paradoxalement la prise alimentaire entraînant un gain pondéral. Perçus comme une source calorique par les papilles gustatives alors qu’ils sont acaloriques, les EI pourraient dispenser des messages erronés résultant en une augmentation de l’appétit(11). L’alliesthésie négative qui participe à la régulation de l’apport énergétique en inhibant le plaisir ressenti lors de la consommation de produits sucrés serait estompée par les EI, ce qui inciterait à consommer davantage. La diminution de la charge glucido-calorique secondaire à l’utilisation des EI pourrait également avoir un impact sur le système digestif qui est fortement impliqué dans la régulation de l’appétit et de la satiété avec pour conséquences une incitation à la prise d’aliments sucrés et caloriques se traduisant par une prise de poids. Un effet plus ou moins direct sur la sécrétion d’insuline pouvant favoriser le développement de l’obésité soutenu par quelques expériences chez l’animal est loin d’être démontré chez l’homme(13,14). Un impact est démontré sur le microbiote intestinal. Les hypothèses qui précèdent ont été peu ou prou validées sur des modèles animaux, mais ne sont guère extrapolables à l’homme si on en croit les résultats de quelques études contrôlées. L’hypothèse d’une interaction des EI avec le microbiote intestinal est d’autant plus intéressante qu’il est à présent bien établi qu’une altération du microbiote (dysbiose) a des effets néfastes sur l’hôte en favorisant l’obésité, l’inflammation de bas grade et l’insulinorésistance. Des travaux expérimentaux ont montré que la dysbiose induite par la consommation d’EI était associée à un état prédiabétique, transférable à des animaux sains recevant une greffe de fécès. Ces travaux reproduits chez l’homme recevant de la saccharine, confirment que les EI peuvent initier une dysbiose à l’origine de perturbations du métabolisme glucosé. Ces effets variables selon les individus, la dose et la durée de la prise d’EI, pourraient expliquer les effets métaboliques néfastes des EI, qu’il s’agisse de saccharine, d’aspartame, de sucralose ou de steviol( 15). Absence de liens d’intérêt avec la teneur de ce texte.

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