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Pédiatrie

Publié le 24 jan 2024Lecture 6 min

Changement climatique : quelles conséquences sur la santé des enfants ?

Jean-Pierre BESANCENOT, Directeur de recherche honoraire au CNRS, Paris

Une immaturité physique, physiologique et cognitive, une grande dépendance à l’égard des adultes et des comportements qui leur valent des niveaux d’exposition particulièrement élevés font que nouveau-nés, nourrissons et enfants subissent plus que quiconque les effets négatifs du changement climatique sur la santé. Cela se vérifie spécialement dans les milieux socio-économiques défavorisés et dans les pays pauvres.

Une littérature abondante traite des impacts sanitaires du changement climatique, qu’ils soient déjà avérés ou attendus pour le futur(1). Les personnes âgées y occupent en général une place prépondérante. Il existe pourtant une autre population très vulnérable, puisque 88 % de la morbidité imputable au réchauffement planétaire se concentre avant l’âge de 5 ans(2). Or il n’est pas exclu que, pour l’enfant qui naît aujourd’hui, l’année en cours soit la plus fraîche qu’il affrontera dans sa vie(3). Les effets (figure) peuvent être directs ou indirects et avoir un impact immédiat ou à long terme(4,5). Ils commencent dès la grossesse (avec un risque élevé de prématurité et de faible poids de naissance, voir article de Lepeule) et se poursuivent jusqu’à l’âge adulte, sans se limiter au renforcement du stress thermique, mais en incluant les conséquences des grands paroxysmes météorologiques, la dégradation de la qualité de l’air, la modification des schémas pathologiques des infections climato-sensibles, ainsi qu’une aggravation de l’insécurité alimentaire et hydrique dans les régions où elle sévit déjà. Figure. Effets potentiels du changement climatique sur la santé des enfants et interventions susceptibles d'en réduire le risque.   Les effets directs   Une production de chaleur métabolique supérieure à celle de l’adulte, un rapport surface corporelle/masse majoré, un débit cardiaque plus faible et une moindre sécrétion de sueur ont jadis entretenu l’idée d’une capacité thermolytique réduite des enfants. Cette croyance est abandonnée en cas d’exposition modérée à la chaleur(6). Mais il en va autrement en présence de grands extrêmes thermiques (surtout jusqu’à 4 ou 5 ans) ou lors d’activités physiques intenses (plutôt chez l’adolescent)(3-8). Dans les deux cas, le sexe masculin est le plus touché. L’enfant aurait donc moins à craindre de la hausse tendancielle des températures, estimée d’ici à la fin du siècle entre 2,4 et 4,5 °C selon le scénario retenu d’émission des gaz à effet de serre, que de la présence de vagues de chaleur plus fréquentes, plus intenses et plus durables. Si, en 2020, seuls 23 % des enfants à la surface du globe étaient en moyenne confrontés à des canicules durant au moins 4,7 jours par an, les simulations numériques révèlent que dès 2050 le taux grimperait entre 76 et 94 %(3). Ces températures extrêmes, surtout si elles ne s’accompagnent pas de rémission nocturne, sont associées à une hausse des hospitalisations en pédiatrie et des passages des enfants aux urgences. Les diagnostics les plus surreprésentés sont alors, d’une part, des dysrégulations thermiques (hyperthermies et coups de chaleur), d’autre part des perturbations rénales consécutives à une déshydratation, des déséquilibres électrolytiques et des fièvres d’étiologie variée. En Californie, lors des jours caniculaires, l’activité des urgences pédiatriques est d’ores et déjà multipliée par 6 pour la tranche d’âge 0-3 ans(8) et tout porte à penser qu’avec le changement climatique la situation ne peut qu’empirer. Les décès ne sont pas rares. Août 2003 a occasionné en France une surmortalité de 29 % chez les garçons de moins d’un an(7), et l’on prévoit qu’en 2100, la moyenne mondiale du taux de la mortalité infantile liée à une exposition excessive à la chaleur aura progressé de 6,7 %, sans que la surmortalité estivale soit compensée par une réduction du nombre des décès durant l’hiver.   Les effets indirects   Un climat plus chaud a une forte probabilité d’allonger les saisons polliniques, d’augmenter la concentration des grains de pollen dans l’air et d’accroître leur contenu allergénique, ces différentes tendances se conjuguant pour renforcer la prévalence et la sévérité des allergies respiratoires, asthme compris, entre 5 et 18 ans(9). Dans un registre voisin, le changement climatique est susceptible de dégrader la qualité de l’air, en augmentant la fréquence des types de temps chauds et ensoleillés favorables à la formation de l’ozone, ou en renforçant les concentrations de particules fines associées à des incendies ou à des brumes de sable. Il paraît inévitable que cette pollution accrue affecte la fonction pulmonaire, en particulier chez les enfants souffrant d’asthme(5,9). Un autre effet redouté du changement climatique, surtout dans les zones tropicales et subtropicales, est la recrudescence des épidémies de maladies infectieuses ou parasitaires, auxquelles les enfants sont particulièrement sensibles. Sont notamment concernées les maladies à transmission vectorielle (dengue au premier chef, mais aussi paludisme, Chikungunya, Zika et, en Amérique du nord ou en Europe, borréliose de Lyme), mais aussi nombre de maladies à transmission alimentaire ou hydrique, notamment les diarrhées aiguës(1,5). En multipliant les mauvaises récoltes, via la hausse des températures et, selon les régions, l’excès ou l’indigence des précipitations, le changement climatique peut aggraver l’insécurité alimentaire et, par suite, détériorer l’état nutritionnel des enfants, qu’il s’agisse de malnutrition protéinocalorique (laquelle joue un rôle à l’échelle mondiale dans environ 45 % des décès des moins de 5 ans), ou de déficits micronutritionnels (qui compromettent la croissance et le développement, tout en augmentant le risque de maladies infectieuses)(10). En particulier, dans bien des régions, les vagues de chaleur exacerbent les sécheresses, et l’indigence des ressources hydriques contraint les communautés à recourir à des sources d’eau insalubres, ce qui entraîne des épidémies de maladies d’origine hydrique.   Une vulnérabilité inégale   Tous les enfants du monde ne sont pas également susceptibles d’être affectés par des problèmes de santé liés au changement climatique. Ceux qui vivent dans les pays les plus pauvres, à faible résilience et capacité d’adaptation limitée, avec une charge de morbidité déjà très élevée, sont jusqu’à 10 fois plus à risque que ceux des pays les plus avancés(11), en raison notamment de ressources matérielles et financières limitées, de mauvaises conditions de vie, de la fréquente précarité de l’habitat, de l’absence de climatisation, d’une hygiène défectueuse, du manque d’éducation sanitaire des parents et d’un accès restreint aux soins de santé. La modélisation de la relation entre la température et la mortalité des enfants de moins de 5 ans a permis d’estimer qu’en Afrique subsaharienne, le nombre de décès liés à la chaleur durant la décennie 2005-2014 était déjà deux fois plus élevé qu’il ne l’aurait été en l’absence de changement climatique(12). Le même modèle, dans un scénario climatique où les émissions de gaz à effet de serre continueraient d’augmenter à un rythme élevé, fait redouter d’ici à 2049 un nouveau doublement de cette mortalité(12). On ajoutera que le spectre des causes de décès varie très fortement selon le niveau de développement avec, dans les pays les plus pauvres, un lourd fardeau de maladies infectieuses et de déshydratations – ce qui n’est pas sans rappeler la vague de chaleur de l’été 1911 en France où, sur 40 000 décès surnuméraires, 29 000 avaient concerné, selon le mot d’un médecin de l’époque, des « tout-petits élevés au biberon » emportés par des diarrhées et des entérites parfois accompagnées de fièvre typhoïde. Il existe des disparités du même ordre à l’intérieur de chaque pays, y compris les plus riches, où toutes les simulations font supporter aux enfants des minorités ethniques et des communautés socialement défavorisées le plus lourd fardeau sanitaire du changement climatique, lequel agit bien alors comme un amplificateur des inégalités existantes(11). De plus, l’urbanisation aggrave les risques en raison de la rareté des espaces verts et de l’effet d’îlot de chaleur urbain, qui élève de manière disproportionnée les températures au cœur des villes – ce qui explique sans doute pourquoi la canicule de 1995 a entraîné chez les moins de 15 ans une surmortalité de 4,6 % sur l’ensemble de l’Angleterre et du Pays de Galles, mais de 13 % dans le Grand Londres(7). On conçoit l’urgence de mettre rapidement en œuvre des stratégies énergiques d’atténuation (mitigation) et d’adaptation. La décision de la COP 27 (Conférence des parties), réunie à Charm-El-Cheik en 2022, de placer la santé et le bien-être de l’enfant au centre des discussions sur l’adaptation au changement climatique va dans le bon sens. Mais sera-t-elle suffisante ?

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