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Allergologie

Publié le 07 oct 2024Lecture 8 min

Fausses allergies alimentaires et urticaire

François LAVAUD, CHU de Reims

Épidémiologie : 20 à 35 % de la population occidentale rapportent des réactions néfastes lors de la consommation d’aliments. Ces manifestations sont diverses, cutanées, troubles digestifs, troubles cardiovasculaires, neurologiques et sont souvent alléguées à des allergies. Ces chiffres sont en augmentation depuis 2000. Le travail de l’allergologue est de faire le point de ce qui peut être allergique de ce qui ne l’est pas, de sorte qu’après bilan seulement 3,6 % des symptômes sont attribués à des phénomènes d’hypersensibilité. Ce peuvent être des urticaires aiguës classées dans les hypersensibilités immunologiques ou non immunologiques que l’on peut aussi appeler fausses allergies alimentaires. Celles-ci regroupent des intolérances, pseudo-allergies, intoxications, troubles pharmacologiques. Dans ces cas, les symptômes sont plutôt des exacerbations d’urticaire chronique ou des urticaires aiguës récurrentes.

Il est primordial que l’allergologue s’intéresse à ces patients car ils vont s’orienter vers des régimes inadaptés, avec risque d’altération de la qualité de vie, dysbiose, aggravation des symptômes, troubles du comportement alimentaire, ou perte de poids. La consultation allergologique a pour objectif de ne pas méconnaître une allergie alimentaire et de rassurer en cas de fausse allergie. Par ailleurs les patients ont souvent un parcours chaotique avec nomadisme médical, une absence d’avis médical ou diététique, et une évolution vers un auto-diagnostic marqué par de l’incompréhension, de la méfiance ou de la défiance. Les intolérances alimentaires déclarées peuvent être associées à des phénomènes dépressifs et anxiogènes et une altération de la qualité de vie.   Dermatoses érythémateuses non urticariennes Il faut mettre à part ces éruptions qui surviennent après un repas mais ne sont pas de l’urticaire.   Syndrome des flushs gustatifs unilatéraux ou syndrome de Lucie Frey C’est un flush unilatéral isolé dans le territoire du nerf auriculo-temporal survenant chez le nourrisson. Des formes bilatérales sont possibles. Il apparaît quelques secondes à quelques minutes après la prise alimentaire. Sa résolution est spontanée et rapide. Les aliments concernés sont les aliments acides (compotes de fruits) ou épicés ou qui doivent être mastiqués (pain). Ce flush est dû à une régénération aberrante des fibres du nerf auriculo-temporal lésé suite à un traumatisme périnatal. Un test de provocation est possible en consultation. L’évolution est favorable 3 fois sur 4 avec amélioration ou disparition.   Manifestations cutanées liées à la toxicité des aliments Dans ce cadre, on isole la consommation de champignons comestibles de type Shiitakes crus ou peu cuits. Les symptomes cutanés à type de dermite flagellée sont retardés, 24 à 48 heures après la prise alimentaire et sont prolongés. Ils sont isolés sans manifestations digestives ou neurologiques. Le bilan allergologique est négatif.   Urticaires inductibles et aliments En dehors de l’urticaire au froid déclenché par la consommation d’aliments glacés ou isolé, dans ce groupe, les dermographismes sont exacerbés et les dermographismes déclenchés par la prise alimentaire. Dans ce cas, il n’y a pas d’allergie ni de sensibilisation alimentaire. La prévalence est mal connue et on discute, dans les mécanismes physiopathologiques hypothétiques, une altération postprandiale de l’osmolalité et du pH plasmatique, des modifications de l’activité enzymatique au niveau de la peau, une modification de l’activité parasympathique centrale entraînant l’abaissement des seuils de dégranulation mastocytaire ou l’activation directe par les récepteurs muscariniques, une modification de la perméabilité intestinale. Après prise alimentaire d’aliments riches en carbohydrates sans épice on observe soit une diminution du seuil déclenchant au Fric-test, soit un Fric-test uniquement positif après la prise alimentaire.   Urticaires déclenchées par des additifs et pseudo-allergènes naturels • Additifs : leur action est dose-dépendante et cumulative avec une grande variation dans les aliments apportés par l’industrie. Ce sont des colorants, des conservateurs (sulfites, benzoates, antioxydants), des édulcorants et des arômes. • Les composés aromatiques naturels sont également en cause, présents dans les tomates, les vins, les oignons, les plantes aromatiques. On isole ainsi les glutamates, les composés phénoliques des végétaux (acide salicylique, acide hydroxybenzoïque, anéthole, essence d’agrumes) et des aldéhydes aromatiques. Un rôle particulier est dévolu à l’alcool. Ces composés sont soumis à des variations biologiques des sources alimentaires naturelles, de la composition des sols, des conditions de culture, des conditions climatiques et de la maturation. • Les amines biogènes sont issues de la dégradation microbienne des aliments riches en protéines. Sous l’action d’une décarboxylase l’histidine est transformée en histamine. La synthèse d’histamine aboutit à l’apparition d’urticaire. D’autres amines biogènes sont en cause, la cadavérine issue de la lysine, la tyramine issue de la tyrosine, la putrescine issue de l’ornithine, la tryptamine, la bâtaphényléthylamine, la spermine et la spermidine. Elles sont directement responsables de symptômes ou affectent le métabolisme de l’histamine. Il existe aussi une grande variabilité dans leur teneur selon la quaité de la matière première, les traitements initiaux (récolte, stockage, transport), les règles d’hygiène, les souches bactériennes, les procédés de fermentation (industriels ou artisanaux), les procédés industriels (limitation de la croissance de micro-organismes et action de certaines protéases et décarboxylases).   Histaminose - Intolérance/hypersensibilité à l’histamine Cette entité développée dans les années 90 repose sur la notion d’un déséquilibre entre les apports alimentaires et la capacité de détoxification de l’histamine. Il faut rappeler que l’histamine endogène contenue dans les mastocytes et basophiles représente plus de 90 % du stock d’histamine corporel. Une petite portion, 5 % (histamine exogène) est apportée par les aliments. Ce sont les aliments riches en protéines qui peuvent libérer des amines biogènes, comme les fruits de mer, les poissons scomberoides (anchois, thon, sardine, maquereau, hareng), les viandes, les produits laitiers, les vins et bières, certains fruits et légumes, soit fermentés (soja), soit stockés (tomates, aubergines, épinards). Les aliments peuvent aussi contenir de l’histidine et l’histamine sera produite par l’histidine décarboxylase du microbiote intestinal. L’histidine peut provenir aussi de l’hémoglobine lors de saignements, d’une occlusion intestinale ou de sepsis. Les apports en histamine pourraient être trop importants par ces mécanismes et le patient pourrait être affecté d’un déficit de sa capacité de détoxification qui transforme l’histamine en métabolites inactifs. Les 2 enzymes en cause sont la diamine oxydase libérée par la muqueuse du grêle et du côlon ascendant et l’histamine-N-méthyltransférase, intracellullaire cytosolique. L’hypothèse de l’histaminose est qu’il existe une diminution de l’activité de détoxification soit par polymorphisme génétique, soit par dysbiose, soit une altération de la muqueuse intestinale par phénomènes néoplasiques ou inflammatoires. Il pourrait y avoir aussi des interactions médicamenteuses temporaires réversibles avec l’aspirine, les inhibiteurs de la MAO, les mucolytiques, les antidépresseurs, l’acide clavulanique… Il peut y avoir aussi compétition avec d’autres amines biogènes, l’alcool, l’acétaldéhyde.   Prise en charge Elle est limitée par l’absence de tests cutanés ou de dosages d’IgE compte tenu du fait que le mécanisme n’est pas allergique.   Enquête catégorielle alimentaire Elle est à faire pendant un minimum d’une semaine en notant aliments, boissons, friandises, et leur quantité consommée à chaque repas. On garde toutes les étiquettes des produits transformés ou manufacturés. L’analyse est faite par un(e) diététicien(ne) ou un médecin entraînés. On estime la richesse alimentaire en amines biogènes et la prise de pseudo-allergènes, additifs alimentaires ou composés aromatiques naturels. Ceci débouche sur un régime d’épreuve ciblé, sur 1 mois pas plus. Ce régime doit être accompagné par un(e) diététicien(ne) et on en vérifie l’observance. Il doit être évalué par comparaison de scores de symptômes, de prise de médicaments, de qualité de vie. Si le régime est efficace, on réintroduit les aliments de façon isolée, progressive, cumulative et adaptée au patient. Ce TPO, s’il est positif, confirme le diagnostic.   Impact des différents régimes d’éviction sur l’urticaire L’analyse de la littérature scientifique montre que les études sont anciennes. En fait les dernières revues de littérature sont contradictoires, certaines estiment que ces régimes d’éviction sont importants pour les patients et plutôt pour le Sud de l’Europe et menées par des diététicien(ne)s ; d’autres sont contre, notamment les équipes dermatologiques allemandes suisses ou autrichiennes. Globalement ces régimes d’épreuve sont peu concluants et les critiques que l’on peut faire sont que le taux de réponse est variable, de 30 à 100 % avec des réponses variées, complètes, partielles ou nulles, et l’interférence de co-facteurs connus pour l’urticaire n’est pas étudiée. De plus, les études sont difficilement comparables entre elles avec beaucoup d’études observationnelles, absence de groupes contrôles et activité initiale de l’urticaire mal définie. Les perdus de vue sont nombreux. Enfin, la réintroduction de l’aliment en double aveugle à des quantités largement supérieures à celles d’un repas normal ne reproduit les symptômes que dans moins de 20 % des cas. L’impact des compléments alimentaires et de la supplémentation en diamine oxydase a été évalué dans 2 études. L’une, avec TPO ouvert à l’inclusion n’a pas montré de reproductivité des symptômes lors de la réintroduction de l’aliment en double aveugle. L’autre étude est une étude observationnelle sans groupe contrôle où un effet placebo ne peut être éliminé. Aujourd’hui on sait que d’autres facteurs que la composante alimentaire sont impliqués dans l’urticaire chronique. Ce sont des facteurs génétiques : associations HLA, polymorphisme génétique, métabolisme de l’acide arachidonique. On sait que l’auto-immunité IgE et IgG type IIb joue un rôle, on connaît mieux les récepteurs mastocytaires autres que Fc Er1 pour les médicaments, les agents infectieux, les cytokines inflammatoires. On a déterminé l’association de l’urticaire chronique à des atteintes digestives comme des troubles de perméabilité de la muqueuse gastrique, la composition du microbiote et le rôle d’infections parasitaires.   Conclusion • Devant ces patients qui sont difficiles et qui attendent beaucoup, l’allergologue doit rester rigoureux dans son interrogatoire et dans l’interprétation des examens biologiques. • Il doit distinguer une allergie alimentaire vraie d’une fausse allergie alimentaire. • Il doit rester vigilant et si un régime d’épreuve est justifié il doit être supervisé et limité dans le temps et suivi d’une réintroduction de l’aliment évité. • Il faut par ailleurs expliquer au patient que les mécanismes de l’urticaire chronique sont multifactoriels avec peu de place à un facteur alimentaire et qu’il faut oublier ce qui a été proposé il y a quelques années. • Enfin, il faut rester à l’écoute de ces patients, l’urticaire altérant la qualité de vie et le jugement.

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