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Diabétologie

Publié le 22 déc 2022Lecture 11 min

Comment prendre en charge une suspicion de syndrome du canal carpien chez une personne vivant avec un diabète ?

Sylvie PICARD, Dimitar VASILEVSKI, Endocrino-diabétologie, Point médical, Dijon

La présence d’un diabète augmente considérablement le risque de troubles musculo-squelettiques (TMS) associés, en particulier au niveau des membres supérieurs. Nous avons envisagé précédemment(1) les atteintes de l’épaule en présence d’un diabète de type 1 (DT1), avec une incidence élevée de capsulite rétractile, souvent bilatérale, pouvant être particulièrement invalidante dans la mesure où elle peut interférer avec les gestes techniques nécessaires à la gestion quotidienne du DT1. Néanmoins, la gestion du diabète peut aussi être largement impactée par des troubles de la sensibilité et/ou une perte de force des muscles intrinsèques des mains, représentant l’atteinte motrice consécutive à un syndrome du canal carpien (SCC).

  Conditions de diagnostic   Le SCC étant répandu et reconnu dans la population générale, les personnes vivant avec un diabète (PVD) reconnaissent aisément par elles-mêmes les symptômes du canal carpien. Il reste toutefois important de confirmer objectivement le diagnostic et d’évaluer le degré de sévérité de la compression du nerf médian. Le SCC est le plus fréquent des syndromes canalaires et sa fréquence est multipliée par 1,5 à 2 en cas de diabète. Le SCC atteint environ 15 % des PVD. Cette fréquence atteint 30 % si l’on considère le sous-groupe des patients atteints de neuropathie périphérique en sachant qu’il n’existe pas de différence entre DT1 et DT2. Dans notre série dijonnaise rétrospective(2), 19 % des patients avec un DT1 évoluant depuis plus de 20 ans présentaient des antécédents de SCC symptomatique. Il s’agissait majoritairement de femmes (67 %) avec une moyenne d’âge de 54 ans et une durée de DT1 de 34,5 ans au moment de l’étude. Leur premier diagnostic de TMS – tous sites confondus – avait été établi en moyenne à l’âge de 28 ans. Le SCC était associé pour 93 % des patients à d’autres TMS parmi lesquels une capsulite rétractile de l’épaule (60 %) ou des antécédents de doigt(s) à ressaut (47 %).   Atteinte des différentes fibres du nerf médian   Lors de la compression évolutive du nerf médian au passage du canal carpien, les fibres sympathiques et sensitives sont atteintes en premier, avant les fibres motrices. Les symptômes sensitifs initiaux comprennent des dysesthésies, des anesthésies sélectives de la pulpe digitale et/ou des réveils nocturnes avec paresthésies. Ces symptômes concernent le territoire cutané sensitif du nerf médian représenté par la face palmaire des trois premiers doigts et le bord radial du quatrième doigt. Le cinquième doigt n’est jamais touché, car il correspond au territoire sensitif du nerf ulnaire. Ces anomalies perturbent la précision du toucher et des gestes fins. Les fibres sympathiques sont responsables de la vasomotricité des membres et leur atteinte entraîne une perturbation des réflexes vasomoteurs adaptatifs (coloration palmaire, syndrome spastique de Raynaud). Une variante particulière de cette atteinte vasomotrice est la perte des plissements froissés de la peau pulpaire plongée dans l’eau, c’est le signe d’Alan. En effet, après une exposition prolongée de la main dans l’eau, les composantes vasomotrices des nerfs induisent normalement une diminution du diamètre des vaisseaux sanguins situés au bout des doigts, donc une diminution de volume, tandis que la peau garde la même surface, ce qui explique l’apparition de sillons. Le réflexe sudoripare peut également être touché et va entraîner le plus souvent une sécheresse des mains. La convergence dans le ganglion spinal entre les sensibilités végétatives et cérébrospinales, explique le phénomène de la douleur pulpaire projetée lors de la compression mécanique du nerf médian à son passage à la face palmaire du poignet.   Éléments clés de l’interrogatoire   Habituellement les symptômes initiaux sont représentés par des sensations d’engourdissement et/ou des paresthésies de la main dans le territoire du nerf médian : face palmaire des 3 premiers doigts et moitié radiale du 4e doigt, tout en considérant que la localisation est parfois difficile à percevoir pour les patients qui décrivent souvent une atteinte de « toute la main ». En revanche, des symptômes exclusivement localisés aux 4e/5e doigts sont plus vraisemblablement secondaires à une atteinte du nerf ulnaire au coude (gouttière épitrochléoolécranienne) et/ou au poignet (canal de Guyon). Les symptômes sont initialement intermittents, prédominant lors de tâches impliquant des mouvements répétitifs ou soutenus du poignet et des doigts (clavier d’ordinateur, conduite, crampe de l’écrivain, tricot, crochet) ou l’utilisation de matériel électroportatif vibrant ou percutant. Une prédominance nocturne est relevée initialement, avec réveils nocturnes et nécessité de secouer la main pour soulager les symptômes dysesthésiques. Parallèlement, il existe souvent une douleur localisée à la face de flexion du poignet pouvant irradier dans la main et/ou l’avant-bras, le long des tendons fléchisseurs. Progressivement apparaît une diminution de la force de préhension notamment au niveau de la pince pouce-doigts et les patients laissent échapper des objets. L’atteinte sensitive perturbe la préhension et la précision des gestes avant que l’atteinte motrice plus tardive ne touche les muscles de l’éminence thénar. L’atteinte des fibres autonomes se traduit par des sensations de main chaude ou froide, des modifications de la coloration cutanée, une sécheresse de peau et une sensibilité exagérée aux variations de température et d’hygrométrie (syndrome de Raynaud).   Éléments clés de l’examen clinique   L’examen clinique confirme les troubles de sensibilité dans le territoire cutané du nerf médian et le respect de la sensibilité des territoires du nerf radial et du nerf ulnaire. Deux manœuvres destinées à reproduire les symptômes dysesthésiques sont utilisées : – signe de Tinel : dysesthésies déclenchées par la percussion du pli palmaire du poignet, à hauteur du ligament annulaire du carpe. Ces dysesthésies sont ressenties dans la pulpe des trois premiers doigts, voire du bord radial du quatrième ; – signe de Phalen : dysesthésies ou hypoesthésie survenant rapidement après la flexion palmaire complète du poignet. Un signe de Phalen inversé peut être déclenché par le maintien de la flexion dorsale du poignet. Dans les compressions plus avancées, une amyotrophie peut être observée au niveau du premier espace intermétacarpien avec perte du relief musculaire obtenu en rapprochant le pouce de l’index. L’amyotrophie finit par donner l’impression d’un premier espace qui se creuse.   Quels examens complémentaires demander ?   Le diagnostic est avant tout clinique. Néanmoins, l’examen complémentaire de choix est l’électromyogramme (EMG) avec mesure de la vitesse de conduction nerveuse (VCN) le long du trajet anatomique du nerf médian tout en notant que d’autres examens pourront aussi être demandés. L’EMG permet à la fois de confirmer le diagnostic du syndrome canalaire compressif, d’objectiver la compression au passage du canal carpien, d’évaluer le degré d’atteinte du nerf médian au niveau de ses fibres sensitives et motrices et de diagnostiquer une éventuelle neuropathie diabétique associée. Dans la mesure où l’EMG forme le socle objectif de la décision chirurgicale, il est judicieux de le prévoir en amont de la consultation avec le chirurgien orthopédique ou le chirurgien de la main. L’échographie aide au diagnostic en confirmant un œdème du nerf médian au passage du canal carpien, notamment dans les SCC débutants où l’EMG est encore subnormal. L’échographie peut aussi mettre en évidence d’éventuelles ténosynovites associées au niveau des fléchisseurs, tant dans les sollicitations professionnelles répétées que lors de maladies rhumatismales éventuellement associées. La radiographie du poignet est utile lors d’antécédents traumatiques du poignet ou de polyarthrite rhumatoïde associée. Elle peut mettre en évidence des anomalies ostéoarticulaires associées : séquelles déformantes de fracture, cal hypertrophique, synchondrose du carpe, disjonction scapholunaire, arthrite destructive, ostéophytes, géodes, pincements arthrosiques. Un bilan biologique minimal est indispensable comportant outre l’HbA1c, un dosage de TSH (l’œdème secondaire à une hypothyroïdie restreint encore plus l’espace disponible au passage du nerf médian dans le canal carpien), une numération formule sanguine, un dosage de la CRP, du facteur rhumatoïde et d’anticorps anti-peptides cycliques citrullinés (ACCP) pour ne pas méconnaitre une polyarthrite rhumatoïde ou un lupus érythémateux disséminé.   Comprendre la physiopathologie pour choisir le traitement adéquat   Le SCC est le plus fréquent des syndromes canalaires compressifs (« entrapment syndromes » des Anglo-Saxons). Les syndromes canalaires surviennent aux endroits où le passage des nerfs (ou tendons) est le plus étroit et donc en particulier au niveau du canal carpien. Celui-ci renferme les tendons fléchisseurs des doigts en plus du nerf médian et est bordé en avant par le ligament transverse du carpe et en arrière par les os du carpe. La compression nerveuse est favorisée par l’augmentation de volume du nerf en raison de l’accumulation de sorbitol produit à partir du glucose intracellulaire par la voie de l’aldose réductase après saturation de la voie de l’hexokinase en présence de glycémies élevées. Une fois formé, le sorbitol peut difficilement quitter la cellule et, par son pouvoir osmotique, il induit un œdème neuronal et axonal. L’œdème neuronal est encore accentué par l’accumulation de radicaux libres qui va conduire à la mort neuronale. Enfin des produits avancés de glycation (PAG) s’accumulent notamment au niveau des péricytes, petites cellules contractiles de la membrane basale : l’épaississement de la membrane basale – et donc l’hypertrophie de la barrière sang/nerf – induit une augmentation de la production locale de VEGF. Cette modification intrinsèque du nerf associée à la compression extrinsèque dans le canal constitue le « double crush syndrome ». Ce terme est néanmoins aussi utilisé pour désigner l’atteinte d’un nerf à deux endroits différents de son trajet anatomique, en raison des modifications intrinsèques de sa structure, le rendant plus vulnérable aux compressions extrinsèques – atteinte du nerf ulnaire à la fois au niveau de la gouttière épitrochléo-olécranienne au coude et au canal de Guyon au poignet. Les études échographiques — diamètre des nerfs augmenté chez les PVD — et le constat peropératoire de nerfs épaissis et ivoirins — par accumulation de PAG — corroborent la participation des modifications intrinsèques du nerf lors de la compression canalaire. Cette physiopathologie permet de comprendre pourquoi à terme le seul traitement efficace est la chirurgie, l’oedème intrinsèque du nerf par accumulation de sorbitol et de PAG n’allant pas répondre à une infiltration de corticoïdes.   Proposer le traitement adéquat   Initialement, lorsque les symptômes sont discrets, peu invalidants et que l’EMG n’objective pas de signe de compression sévère, le repos relatif — adaptation des activités déclenchant les symptômes, port d’une orthèse de repos — peut être proposé. Des infiltrations de corticoïdes peuvent être tentées, en gardant à l’esprit qu’elles vont déséquilibrer le diabète et n’avoir qu’un effet incomplet et relativement bref en agissant sur l’inflammation éventuellement associée, mais pas sur les modifications métaboliques responsables de l’augmentation de volume du nerf. Ces techniques conservatrices permettent d’atténuer la symptomatologie si la chirurgie doit être retardée pour des raisons intercurrentes. L’intervention reste indispensable en cas d’atteinte sévère à l’EMG : neuropathie axonale avec diminution des VCN ou signes de dénervation lors de la détection à l’aiguille. La chirurgie consiste à libérer le nerf médian en sectionnant le ligament transverse du carpe et se pratique dans la très grande majorité des cas en chirurgie ambulatoire sous anesthésie locorégionale. Les résultats sont excellents tout en sachant que des complications spécifiques au traitement chirurgical du syndrome du canal carpien sont rares, mais peuvent se produire et elles seront évoquées au préalable. Les troubles sensitifs peuvent perdurer après chirurgie et un électromyogramme de contrôle permet d’affiner le diagnostic différentiel entre : – une ouverture incomplète du canal carpien nécessitant une reprise chirurgicale ; – une lésion neurologique associée : une compression nerveuse au niveau du coude ou au niveau de la colonne cervicale, une compression au niveau du défilé thoraco-brachial, une neuropathie diabétique ; – une lésion directe du nerf médian liée à la chirurgie (exceptionnelle), par fibrose cicatricielle hypertrophique ou section du nerf lors de la dissection des adhérences, – une hypoesthésie ou une hyperesthésie transitoire sur un des doigts concernés et participant au processus de cicatrisation du nerf médian. Un SCC est souvent associé à des doigts à ressaut. Cette pathologie canalaire tendineuse associée peut être révélée par la chirurgie du SCC.   Comme pour toute chirurgie, il existe un risque d’hématome qui se résorbe en règle générale tout seul. Il peut exceptionnellement nécessiter une ponction évacuatrice ou un drainage chirurgical. La pratique de la chirurgie sans garrot pneumatique autorise des hémostases soigneuses et limite les hématomes post-opératoires. L’algodystrophie ou syndrome douloureux régional complexe (SDRC) sera traitée médicalement, peut durer plusieurs années et doit mener à une prise en charge spécifique avec rééducation adaptée et traitement de la douleur en centre anti-douleur. Elle reste aléatoire dans sa survenue comme dans son évolution et ses séquelles éventuelles. L’infection profonde est exceptionnelle. Elle peut nécessiter une reprise chirurgicale et un traitement prolongé par antibiotiques. Le tabagisme augmente de manière significative les retards de cicatrisation et le taux d’infection. La cicatrice peut rester gonflée et sensible durant plusieurs semaines, associant des douleurs à l’appui sur la paume ou lors de la préhension. Une raideur temporaire peut justifier une rééducation complémentaire par un(e) kinésithérapeute DE. La limitation de la force de serrage peut persister, d’autant plus longtemps que la compression pré-opératoire a pu évoluer dans le temps. En revanche, il ne faut pas trop tarder pour décider de la chirurgie, une atteinte sévère du nerf risquant de laisser des séquelles neurologiques non récupérables après la libération du nerf. Les séquelles potentielles peuvent perturber de façon notable la vie quotidienne des patients, qu’il s’agisse de leur vie personnelle ou professionnelle, de leurs loisirs, mais aussi des gestes fins associés au traitement du diabète, notamment dans le DT1 : remplir un réservoir de pompe, insérer un cathéter ou un capteur de glucose sont des gestes qui nécessitent un minimum de force et de dextérité et les troubles de sensibilité voire la perte de force induits par un SCC peuvent avoir des conséquences très gênantes a fortiori en cas d’atteinte bilatérale (2/3 des patients atteints de SCC dans notre série). La boucle fermée se développe et demande moins d’interventions de la part des patients, mais nécessite toujours le maniement d’une pompe et d’un capteur. Les TMS – dont le syndrome du canal carpien – peuvent constituer un frein à l’utilisation de la technologie pour nombre de patients encore jeunes : dans notre série le plus jeune patient avec une forme bilatérale de SCC avait 38 ans dont 24 ans avec un DT1. Les TMS présents doivent donc être pris en considération lorsque nous choisissons avec une PVD un modèle de pompe – et donc de réservoirs et cathéters –, certains modèles nécessitant plus de force de la pince pouce-doigts et de dextérité que d’autres.   Rechercher les autres complications   Il faut insister sur la nécessité de rechercher d’autres TMS associés, mais aussi, et surtout, d’autres complications du diabète. Nous avons montré dans notre étude incluant des personnes vivant avec un DT1 que la présence de TMS et a fortiori de TMS multiples est associée à une fréquence plus importante d’autres complications du diabète (rétinopathie diabétique, notamment) et à un risque cardiovasculaire plus élevé. L’étude SFDT1 en cours permettra de préciser ces associations(3).

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