Publié le 23 oct 2023Lecture 10 min
Retrouver son odorat : quelles solutions à l’horizon pour les patients anosmiques ?
Hakim BENKHATAR, service d’ORL et chirurgie cervico-faciale, CH de Versailles, Le Chesnay-Rocquencourt
La perte de l’odorat, appelée anosmie quand elle est totale, est un déficit sensoriel dont les conséquences sur la qualité de vie sont depuis longtemps sous-estimées. Et pour beaucoup de patients et de praticiens, la notion selon laquelle « il n’y a rien à faire » reste ancrée. Après un bref rappel des causes, conséquences et traitements actuels de l’anosmie, cette revue détaillera les solutions thérapeutiques à l’horizon pour ces patients.
PERDRE SON ODORAT : CAUSES, CONSÉQUENCES, TRAITEMENTS ACTUELS
Les troubles de l’odorat ou dysosmies ont des mécanismes très variés. D’un point de vue physiopathologique, on peut distinguer : (i) les dysosmies de transmission liées à un défaut d’acheminement des molécules odorantes jusqu’à l’épithélium olfactif (par obstruction du couloir aérien allant du vestibule nasal à la fente olfactive ou altération du mucus à ce niveau), (ii) les dysosmies de perception (par lésion de l’épithélium olfactif ou des filets olfactifs), (iii) les dysosmies centrales (par lésion des bulbes olfactifs et des aires olfactives cérébrales), (iv) les dysosmies mixtes, combinant plusieurs de ces mécanismes (figure 1). Les principales étiologies sont : la polypose naso-sinusienne (PNS), les infections virales, les traumatismes crâniens, les tumeurs, les maladies neurodégénératives (notamment les maladies d’Alzheimer et de Parkinson), le vieillissement, les toxiques (médicaments, radiothérapie, expositions professionnelles) et les maladies génétiques (absence congénitale de bulbe olfactif). En l’absence de cause identifiée, la dysosmie est classée idiopathique.
Figure 1. Illustration de la voie olfactive : voie de transmission par la fosse nasale (rose), voie de perception par l’épithélium olfactif et les filets olfactifs (vert), voie d’intégration centrale par le bulbe olfactif et les aires olfactives centrales (jaune).
L’anosmie correspond à la perte totale de l’odorat. En cas d’odorat résiduel, mais inutilisable dans la vie quotidienne, on parle d’anosmie fonctionnelle, celle-ci ayant les mêmes conséquences. L’anosmie est un déficit sensoriel invalidant qui altère sévèrement la qualité de vie, étant donné que l’odorat est fondamental pour la nutrition (appétit, plaisir gustatif) et participe aux interactions interhumaines. L’anosmie peut également être une cause d’accidents domestiques potentiellement mortels, étant donné que l’odorat est essentiel pour la détection de dangers tels qu’une fuite de gaz, un début d’incendie ou un aliment avarié. De plus, l’anosmie est liée à un risque accru de syndrome dépressif et de décès(1,2). Les données épidémiologiques sur sa prévalence sont peu nombreuses, on estime à 5 % la proportion de personnes anosmiques au sein de la population générale(3). Pourtant, en comparaison avec d’autres déficits sensoriels tels que la cécité ou la surdité, l’anosmie n’a suscité que peu d’attention de la part des institutions médicales ou gouvernementales, en partie du fait qu’il s’agit d’un handicap socialement « invisible ».
Les patients présentant une anosmie post-PNS, même très ancienne, bénéficient de plusieurs options thérapeutiques à l’efficacité bien démontrée : la corticothérapie, la chirurgie sinusienne endoscopique fonctionnelle et plus récemment les biothérapies(4). Les patients présentant une anosmie post-virale peuvent récupérer spontanément, en raison de la grande capacité de régénération du neuro-épithélium olfactif : l’anosmie est donc le plus souvent transitoire (moins de 3 mois), mais parfois prolongée : dans ce cas, l’entraînement olfactif est le traitement le plus à même d’aider à cette récupération(5). En cas d’anosmie persistante (généralement statuée après deux ans d’évolution), le pronostic est très réservé(6). Et cet espoir de récupération est beaucoup plus mince pour les patients présentant une anosmie post-traumatique(7). Enfin, reste à souligner l’importance des traitements préventifs : (i) prévention primaire afin d’éviter la survenue de l’anosmie (ex. : mesures barrières contre la transmission virale, prévention des traumas crâniens par diverses mesures de sécurité), (ii) prévention secondaire afin d’éviter une anosmie persistante, en luttant contre les facteurs entravant la récupération spontanée (ex. : arrêt du tabac, traitement d’une rhinite inflammatoire associée), (iii) : prévention tertiaire, afin d’éviter les complications de l’anosmie (ex. : détecteur de fumée, minuteur en cuisine, vérification des dates de péremption).
RETROUVER SON ODORAT : PERSPECTIVES THÉRAPEUTIQUES
La recherche thérapeutique dans ce domaine est essentiellement focalisée sur 3 étiologies d’anosmie : post-PNS, post-virale et post-traumatique. En effet, ces 3 étiologies sont fréquentes et offrent de réelles perspectives thérapeutiques à court et moyen terme, contrairement aux autres étiologies. Les biothérapies constituent une révolution récente dans le traitement de l’anosmie post-PNS et sont aujourd’hui entrées dans la pratique clinique courante : elles sortent donc du cadre de cette revue. Les principales solutions thérapeutiques à l’étude pour l’anosmie post-virale ou post-traumatique sont de 3 types : compléments alimentaires (oméga-3, association palmitoyléthanolamide ultramicronisée et lutéoline), biothérapies (injection de plasma riche en plaquettes, thérapie cellulaire) et dispositifs électroniques (nez électronique, implant olfactif).
Compléments alimentaires
• Oméga-3
Les oméga-3 sont des acides gras essentiels constituant une famille d’acides gras polyi-nsaturés dont les principaux représentants sont l’acide docosahexaénoïque (DHA) et l’acide eicosapentaénoïque (EPA). Les oméga-3 ont des propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires, mais aussi neuroprotectrices. Un essai randomisé contrôlé récent a montré un effet protecteur des oméga-3 sur la fonction olfactive après chirurgie de la base du crâne antérieure(8). De même, une autre étude randomisée contrôlée récente a montré un effet thérapeutique supérieur de l’entraînement olfactif associé à une supplémentation en oméga-3 versus entraînement olfactif seul, chez des patients présentant un déficit olfactif post-viral(9). Ces résultats prometteurs ont motivé un nouvel essai randomisé contrôlé, en cours aux USA, visant à évaluer le bénéfice des oméga-3 (à la dose de 2 000 mg par jour pendant 6 semaines) dans les troubles de l’odorat liés à la Covid-19(10).
• Association palmitoyléthanolamide ultramicronisée et lutéoline
L’association palmitoyléthanolamide ultramicronisée et lutéoline (PEA-LUT) est un autre complément alimentaire qui a été évalué en Italie dans le cadre des troubles de l’odorat prolongés après Covid-19. Il s’agit de l’association d’un amide d’acide gras (PEA) et d’un flavonoïde (LUT) dont les propriétés anti-inflammatoires et neuroprotectrices ont été suggérées par plusieurs études précliniques (sur modèle rongeur) et cliniques(11). Récemment, une étude multicentrique, randomisée en double aveugle, a montré un effet thérapeutique supérieur de l’entraînement olfactif associé à une supplémentation en PEALUT (Glialia® : un sachet par jour pendant 90 jours) versus entraînement olfactif et placebo, chez des patients présentant une hyposmie ou une anosmie post- Covid-19 de plus de 6 mois(12).
Biothérapies
• Thérapie PRP olfactive
Cette solution récemment proposée(13) vise à injecter du plasma riche en plaquettes (PRP) (obtenu par centrifugation de sang autologue), dont les propriétés anti-inflammatoires et neurorégénératives sont connues, au niveau de la fente olfactive. Une équipe américaine a réalisé une première étude multicentrique randomisée et contrôlée versus placebo (injection de sérum physiologique) chez des patients présentant une hyposmie post-Covid-19 prolongée (6 à 12 mois) : celle-ci a montré un effet thérapeutique supérieur de l’injection de PRP (1 ml dans chaque fente olfactive) versus placebo sur le test subjectif (EVA) et le test psychophysique (amélioration du seuil de détection, de la discrimination et de l’identification des odeurs), à 3 mois post-injection(14).
Une équipe belge a également évalué ce type de traitement dans la même indication (figure 2) : la plus récente (et la plus large à ce jour) a inclus 87 patients (30 anosmiques, 40 hyposmiques et 17 parosmiques) dont le trouble datait de plus de 12 mois (14,1 à 17,3 mois). Une amélioration significative des scores olfactifs subjectifs (par questionnaire) et psychophysiques a été également constatée à 2 mois postinjection, sans effet indésirable majeur(15). Bien que la portée de cette étude soit réduite par l’absence de groupe contrôle, ces résultats sont encourageants et appellent à poursuivre cette piste thérapeutique.
Figure 2. Site d’injection du PRP : partie haute du septum nasal et tête du cornet moyen (points rouges).
• Thérapie cellulaire
Contrairement aux épithéliums de l’oreille interne et de la rétine, l’épithélium olfactif se renouvelle continuellement tout au long de la vie, avec toutefois une réduction de cette capacité avec l’âge. Le renouvellement des neurones olfactifs est permis par l’existence de cellules souches situées au niveau de la couche basale de l’épithélium (figure 3). L’analyse de biopsies de la muqueuse olfactive de patients anosmiques ayant montré une réduction drastique de ces cellules souches et donc du nombre de neurones olfactifs matures, l’idée de transplanter des cellules souches au sein de la muqueuse olfactive pour la régénérer a naturellement fait son chemin(16). En 2019, Kurtenbach et coll. ont évalué histologiquement et fonctionnellement l’effet de l’injection de cellules souches c-KIT positives (provenant d’une muqueuse olfactive saine de souris) sur modèle de souris transgénique hyposmique. Quatre semaines après transplantation, des neurones olfactifs matures c-KIT positifs étaient visualisés au sein de la muqueuse olfactive des souris malades, ainsi qu’une amélioration de leurs résultats fonctionnels en électro-olfactographie et aux tests comportementaux(17). Ces résultats préliminaires prometteurs laissent donc entrevoir la possibilité future d’une thérapie cellulaire pour les patients anosmiques, notamment post-viraux et post-traumatiques.
Figure 3. Épithélium olfactif.
Dispositifs électroniques
• Nez électronique
Un nez électronique se compose essentiellement d’un capteur de gaz, traduisant un signal chimique en signal analogique ou numérique, et d’un microprocesseur contenant le logiciel de traitement et d’analyse du signal obtenu. Un tel dispositif est capable d’identifier la qualité des odeurs, par une analyse globale de la somme des molécules composant une odeur plutôt que par l’identification de chaque composant individuellement. Ce procédé est très proche de ce que nous connaissons de la perception olfactive chez l’homme et l’animal. Bien que cette technologie soit apparue au début des années 1980, la réduction de la taille et du coût des nez électroniques n’a débuté que dans les années 2000. Aujourd’hui, grâce aux progrès des circuits intégrés, la taille et surtout la consommation énergétique de ces capteurs de gaz ont beaucoup diminué. Ainsi, il existe des circuits intégrés centimétriques incluant plusieurs capteurs et une batterie. Ce progrès technologique laisse entrevoir le développement de nez électroniques dédiés aux patients anosmiques afin de les aider dans leur vie quotidienne, comme le montre la commercialisation récente aux États-Unis d’une première « aide olfactive » (Food Sniffer™) permettant de détecter les viandes et poissons avariés (figure 4). D’autres appareils de ce type verront probablement le jour dans un avenir proche étant donné le besoin de nombreux patients anosmiques dans ce domaine, notamment dans la prévention des risques domestiques(18).
Figure 4. Food Sniffer™.
• Implant olfactif
Le concept d’implant olfactif, dispositif électronique en tout point comparable à l’implant cochléaire utilisé pour les patients sourds profonds, a été imaginé par deux Américains, les Prs Richard Costanzo et Daniel Coelho (Richmond, Virginie), le premier étant un chercheur de renommée mondiale en olfactologie fondamentale et le second étant chirurgien ORL spécialisé en otologie et implantation cochléaire. Les « lunettes olfactives » qu’ils proposent, non testées chez l’homme à ce jour, se composent d’une partie externe comprenant un nez électronique, une batterie, un stimulateur électrique et transmetteur) et d’une partie interne implantée comprenant un receveur et une palette multi-électrode (figure 5).
Figure 5. Lunettes olfactives : capteur de gaz au milieu des lunettes (1), transmission du signal vers le microprocesseur (2), bloc microprocesseur/batterie/stimulateur électrique (3), transmetteur connecté au receveur par aimantation transcutanée (4), palette multi-électrode placée sous le bulbe olfactif homolatéral (5), bulbe olfactif (6), aires olfactives centrales (7).
La cible de stimulation choisie par cette équipe est le bulbe olfactif, où convergent de manière organisée les différents types de neurones olfactifs, au sein de la couche glomérulaire, chaque odeur produisant une « cartographie » particulière : il existe en effet au niveau du bulbe olfactif une odotopie (à l’instar de la tonopie cochléaire)(19). Les travaux de recherche préclinique de cette équipe ont confirmé la possibilité de coder spatialement, temporellement et en intensité une stimulation du bulbe olfactif chez le rat anosmique(20). De plus, chez l’homme, alors que les études de stimulation électrique de la muqueuse olfactive ont donné des résultats plutôt décevants (odeur de brûlé, odeur déplaisante, douleur, absence de sensation), les études de stimulation du bulbe olfactif ou du cortex olfactif à proximité (gyrus rectus, cortex orbito-frontal médial) ont donné des résultats plus encourageants (odeurs déplaisantes telles que l’odeur d’oignon, mais aussi odeur fruitée, odeur de café, de citron, de parfum, etc.)(21). Enfin, une première technique chirurgicale d’implantation a été récemment décrite sur sujet anatomique, par voie endonasale endoscopique, afin d’éviter un abord transcrânien invasif (figure 6)(22).
Figure 6. Implantation olfactive médiane sur sujet anatomique : (A) placement extracrânien d’un porte-électrodes avec vue endoscopique, (B) placement extradural d’un porte-électrodes avec vue endoscopique. a : incision du scalp, b : incision du nasion, c : incision inter-septo-columellaire.
D’autres équipes travaillent aujourd’hui au développement d’un implant olfactif : citons le projet européen ROSE (https://rose-h2020.eu/) et le projet français DOLFINA financé par l’Agence nationale pour la recherche et dont le centre hospitalier de Versailles est partenaire. Dans le cadre de ce projet, un prototype sera évalué in vivo, sur un modèle mouton d’anosmie, en partenariat avec l’INRAe, le CNRS et l’ENVA.
CONCLUSION : POINTS CLÉS
• La pandémie de Covid-19 a mis en lumière le bouleversement que peut induire la perte de l’odorat et a stimulé la recherche en olfactologie fondamentale et clinique.
• Les traitements de type complément alimentaire et injection de PRP sont des progrès attendus à court terme, pour les patients présentant une anosmie post-virale prolongée. Leur évaluation chez les patients post-traumatiques devrait être envisagée.
• Thérapie cellulaire et implantation olfactive constituent également de réels espoirs à moyen-long terme, pour les patients présentant une anosmie persistante, post-virale ou post-traumatique.
• La notion selon laquelle « il n’y a rien à faire » pour les patients anosmiques est bel et bien caduque.
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