Le chénopode et son pollen

BOTANIQUE   Les allergologues savent que le chénopode (Chenopodium album, angl. : chenopod, goosefoot), communément appelé « patte d’oie », ou ansérine, ou amarante, est une plante herbacée dicotylédone annuelle de la famille des Chénopodiacées ou Amarantacées selon la classification retenue. Plante pionnière, le chénopode est l’une des premières plantes qui colonisent ou recolonisent un milieu nouveau(a). Le « chef de file » des chénopodes, famille qui comporte environ 250 espèces, est une plante très odorante cultivée dans de nombreux pays pour ses propriétés médicinales(b) et sa valeur alimentaire(c). Les pollens de C. album sont associés à un risque allergique considéré comme modéré. Ses caractéristiques botaniques sont résumées sur la figure 1(3) . Les chénopodes sont des plantes du sud de l’Europe, du pourtour méditerranéen ainsi que des États-Unis, poussant dans les sols secs, les friches et les décombres (figures 2 à 4). Figure 1. Chénopodiacées et Amarantacées d’après une figure tirée du précisde L. Plantefol,Cours de botanique et de biologie végétale,tome II, Librairie classique Eugène Belin, 1958 (page 347)(3). Les numéros renvoient aux divers organes de la plante (collection Guy Dutau). Figure 2. Calendrier pollinique des principales plantes : le chénopode pollinose de mi-juillet à fin octobre (collection Guy Dutau). Figure 3. Chénopodes (C. album) dans un sol sec (collection RNSA). Figure 3. Inflorescences de chénopode (collection RNSA).   SURVEILLANCE AÉROBIOLOGIQUE   En 1962, le chénopode est cité dans l’ouvrage de Jacques Charpin La Pollinose (Monographies sur l’allergie)(4), et plus récemment dans divers ouvrages, mais de façon brève(5). Le Réseau national de surveillance aérobiologique (RNSA) situe le chénopode dans le calendrier pollinique des plantes (ambrosia, armoise, chénopode, graminées, oseille, pariétaire, plantain)tout en indiquant que son potentiel allergisant est modéré à moyen(d) et même à la baisse dans plusieurs villes françaises sur le long terme (fin des années 1980-2022)(e)  Toutefois, le RNSA indique une pollinisation longue, de mi-juillet à fin octobre (figures 2 à 7). Figure 5. Grain de pollen de C. album en microscopie optique (collection RNSA). Figure 6. Grain de pollen de C. album en microscopie électronique. Environ 20 micromètres de diamètre (anciennement micron) (collection RNSA). Figure 7. Le potentiel allergisant de plusieurs herbacées spontanées est considéré comme faible à modéré à part, évidemment, ceux de l’armoise, d’ambrosia, des diverses graminées, et de la pariétaire (d’après le RNSA). Ces indications valent pour les expositions isolées et non pour les regroupements de plantes qui exposent alors à des pollinoses de proximité.   En revanche, plusieurs revues indexées sur PubMed témoignent que le pollen de chénopode semble surtout préoccuper plusieurs pays du Moyen-Orient comme la Turquie, l’Iran, le Koweït et l’Arabie saoudite, surtout dans les zones semi-désertiques(6-9). En Espagne, Villalba et coll.(8), indiquent que Salsola kali(f) est l’une des principales causes de pollinose, avec l’olivier et les graminées.   ASPECTS CLINIQUES   Les symptômes de l’allergie au pollen de chénopode sont respiratoires, à type de rhino-conjonctivite et/ou d’asthme. À Ankara, chez les enfants et adolescents, le pollen de chénopode est responsable d’asthme et surtout de rhinite allergique et/ou d’asthme aux mois d’août et de septembre, la rhino-conjonctivite allergique étant le symptôme le plus remarquable(6). Parmi 47 patients (30 garçons) la fréquence des sensibilisés à C. album, documentées par des prick-tests (PT) positifs, les auteurs ont observé 19,1 % de rhinite allergique (RA), 12,8 % d’associations entre rhino-conjonctivite (RC) et asthme (A), 8,5 % d’asthmes et 4,3 % d’asthmes + RC. La RC était statistiquement plus fréquente que dans les groupes témoins (p : 0,008, p : 0,001). L’association des symptômes de RA et des symptômes oculaires était de 51 % pendant la période de pollinisation de C. album(6). En Corée du Sud, HJ Park et coll.(9) observent que la sensibilisation au pollen de Chenopodium spp. (5,2 %) et de plantain (4,8 %) a augmenté de façon significative parmi 4 442 patients admis dans plusieurs centres hospitaliers d’allergologie de Séoul. Toutefois, dans cette étude, toutes les sensibilisations polliniques, corrélées à une augmentation des diverses émissions de pollen, ont fortement augmenté pendant la période de l’étude qui allait de 2008 à 2013(9). Les études les plus nombreuses sur les pollens de chénopodes émanent surtout d’auteurs espagnols qui ont successivement mis en évidence les faits suivants : – le premier allergène majeur identifié est Che a 1, une protéine de 14-15 kilodaltons(10) ; – les allergènes pertinents de C. album sont Che a 2 (profiline) et Che a 3 (polcalcine) qui ont été isolés et séquencés, tandis que leurs propriétés immunologiques ont été étudiées, en particulier l’existence d’une forte réactivité croisée avec la profiline (Ole e 2) et la polcalcine (Ole e 3) du pollen d’olivier(13) ; – une IgE-réactivité vis-à-vis de l’allergène recombinant Che a 2 est un bon marqueur d’une sensibilisation à la profiline de chénopode(12-14). Castro et coll.(15) ont décrit un nouvel allergène, Sal k 5, un membre de l’importante famille des protéines Ole e 1-like dans le pollen de Salsola kali, une amarantacée des zones tempérées. Salsola kali (angl. : Russian thistle) ou soude de Ruthénie(g) ou encore chardon de Russie est une plante annuelle se reproduisant seulement par germination (graines). Très touffue, buissonnante, épineuse, de 10 à 60 cm de hauteur, parfois plus, de diamètre souvent supérieur à la hauteur(h). Elle est présente dans le sud-est de la France, les Alpes(i), les États-Unis et au Canada où on la trouve principalement dans l’Ontario(j). En 2014 les auteurs espagnols de Madrid et de Saragosse(8) ont publié une importante revue de leurs travaux successifs, argumentée par 90 références bibliographiques. La famille des Amarantacées est composée de 180 genres et de 2 500 espèces. Depuis plusieurs années, ces « mauvaises herbes » ont rapidement colonisé de grandes étendues de sols et des zones désertiques, de sorte que les genres Chenopodium, Salsola(k), et Amaranthus(l) sont devenus des causes pertinentes de sensibilisations et d’allergies polliniques dans les pays de la Méditerranée y compris l’Espagne. On compte actuellement 9 allergènes de ces plantes listés à la nomenclature des allergènes, les principaux appartenant aux familles des pectines methylestérases, Ole e 1-like, et des profilines panallergènes(8). Ces allergènes ont été isolés, caractérisés, séquencés, et divers allergènes de recombinaison ont été produits, permettant de mieux porter le diagnostic de sensibilisations/allergies au pollen de ces plantes. Pour expliquer la forte hausse des sensibilisations/allergies polliniques, D’Amato et Cecchi(16) ont incriminé les modifications climatiques comme l’augmentation des températures, mais de nombreux autres facteurs sont en cause comme la pollution de l’air extérieur. Les études de Amato et coll.(16-18) précisent les facteurs associés à l’augmentation des diverses formes d’allergies : « La présence croissante dans l’atmosphère de déclencheurs chimiques (particules et composants gazeux tels que le dioxyde d’azote et l’ozone) et de déclencheurs biologiques (aéroallergènes) est en cause […] Au cours des cinquante dernières années, la température de la terre a augmenté de façon marquée, probablement en raison des concentrations croissantes de gaz à effet de serre anthropiques. Les grands changements atmosphériques et climatiques, dont le réchauffement global induit par l’activité humaine, ont un impact considérable sur la biosphère et sur l’environnement humain. L’urbanisation et les niveaux élevés d’émissions des véhicules induisent des symptômes d’obstruction bronchique (en particulier l’asthme), davantage chez les personnes vivant en zone urbaine que chez celles vivant en zone rurale(16-17). »   CONCLUSION   • La rareté des cas où les chénopodes sont impliqués n’est pas sans poser des questions… La discrétion – l’absence – de publication française est curieuse comme si cet allergène était ignoré, comme si le diagnostic d’allergie au pollen de chénopode était méconnu ? Pourtant la majorité des auteurs cités dans cette revue pense que les pollens de chénopode et des plantes constituent des allergènes en train d’émerger, probablement avec le réchauffement climatique et les modifications qui lui sont associées. • En tout cas, dès 2014, Villalba et coll.(8), cités plus haut, n’hésitaient pas à considérer que les pollens de chénopodiacées et d’amarantacée étaient déjà responsables d’allergies émergentes en Espagne. Conflits d’intérêts : aucun. Remerciements : l’auteur remercie vivement le RNSA qui lui a aimablement fourni plusieurs documents qui illustrent cet article, et dont la provenance est indiquée dans la légende des figures. Notes a. https://fr.wikipedia.org/wiki/Chenopodium_album et https://fr.wikipedia.org/wiki/ Espèce_pionnière b. Propriétés diverses, en particulier pectorales, en rapport avec sa richesse en vitamine C, ses propriétés antioxydantes (graines), anti-inflammatoires, etc.https://fr.wikipedia.org/ wiki/Chenopodium_album c. Spontanément consommée par le bétail et les volailles. Bien que considérée comme lune « mauvaise herbe » (plante adventice), elle est comestible et ses graines peuvent être moulues. Ibid. d. https://www.pollens.fr/presentation et https://www.pollens.fr/le-reseau/les-pollens e. Communication personnelle RNSA (12 novembre 2022). L’explication de ces évolutions n’est pas claire, peut-être liée à un meilleur entretien des terres cultivables. f. Salsola kali (Kali turgida) ou soude brûlée appartient à la famille des amarantacées ou des chénopodiacées selon la classification classique de Cronquist. https://fr.wikipedia.org/ wiki/Soude_brûlée g. Ensemble des régions d’Europe qui sont, ou ont été, habitées par des populations slaves, ce qui correspondent environ à la Biélorussie, l’Ukraine du Nord, et la Russie de l’Ouest. https://fr.wiktionary.org/wiki/Ruthénie h. Le chardon de Russie est l’une des plus terribles mauvaises herbes des plaines de l’Ouest. Les épines aiguës causent des plaies aux hommes et aux animaux, à tel point qu’en certains endroits, il faut protéger les pattes des chevaux par des espèces de guêtres. La plante est également nuisible d’une autre manière en bourrant les dents des herses et des moissonneuses. Introduite aux États-Unis vers 1873, elle a envahi toute la région des plaines. Elle épuise le sol sans rien lui restituer, car au début de l’hiver, la force du vent rompt les tiges près de la racine, et chasse au loin les touffes desséchées qui vont disperser les graines à des distances considérables. https://www.florelaurentienne.com/ flore/Groupes/Spermatophytes/Angiospermes/Dicotyles/022_Chenopodiacees/ 06_Salsola/pestifer.htm i. https://www.florealpes.com/fiche_salsolakalikali.php j. https://fr.wikipedia.org/wiki/Kali_australis k. Genre cosmopolite, mais surtout présent en Eurasie et en Afrique sous forme de plantes herbacées annuelles et d’arbustes ou même de sous-arbrisseaux. https://www.plantesbotanique.org/espece_salsola_imbricata l. Très nombreuses espèces. Certaines sont cultivées comme plantes potagères et leurs feuilles sont consommées comme des épinards.https://fr.wikipedia.org/wiki/ Amarante_(plante)