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Diabétologie

Publié le 08 nov 2024Lecture 11 min

Tabagisme et diabète : qu’attendons-nous pour agir ?

Vincent DURLACH**, au nom du Groupe de travail tabagisme et diabète, rédacteur du consensus d’experts publié par la Société francophone de tabacologie (SFT) et la Société francophone du diabète (SFD)*

Il existe un lien clair entre tabagisme (actif ou passif) et le risque de développer un diabète de type (DT2). Le tabagisme majore la mortalité toute cause ainsi que le risque de complications macroet microangiopathiques (néphropathie chez le DT2, rétinopathie et neuropathie chez le diabétique de type 1 [DT1]), il s’associe au déséquilibre glycémique et favorise le diabète gestationnel. Prévenir le tabagisme chez le sujet à risque de DT2 et promouvoir le sevrage tabagique chez le DT2 constituent donc une priorité de santé publique soulignée récemment par l’OMS.

* Groupe de consensus SFT-SFD Vincent Durlach, Bruno Vergès, Abdallah Al-Salameh, Thibault Bahougne, Farid Benzerouk, Ivan Berlin, Carole Clair, Jacques Mansourati, Agnès Desserprix, Isabelle Tissot, Alexia Rouland, Stéphanie Genou-Vannobel, Isabelle Gaudy, Daniel Thomas, Philippe Thuillier, Laura Phirmis, Claude Chaumeil, Blandine Tramunt, Anne-Laurence Le Faou ** Université de Champagne-Ardenne, UMR CNRS 7369 MEDyC &, Pôle thoracique et cardiovasculaire Reims, CHU de Reims   Le diabète de type 2 (DT2) et le tabagisme s’inscrivent dans le champ des maladies chroniques et constituent deux problèmes de santé publique majeurs ; ils réduisent l’un et l’autre sensiblement l’espérance de vie (10 ans en moyenne pour le tabagisme, 6 ans pour le DT2) et évoluent de manière syndémique. Si le statut tabagique est recueilli par la majorité des diabétologues, moins nombreux sont ceux qui considèrent comme problématique l’exposition au tabagisme passif et qui connaissent le lien entre tabagisme et insulinorésistance ou équilibre glycémique. De plus, face au diabétique fumeur, la majorité des diabétologues se sentent très majoritairement « incompétents » pour prendre en charge le sevrage tabagique et n’ont pas de personne formée au sevrage tabagique dans leur équipe hospitalière ou leur cabinet de ville. Une prise conscience est donc nécessaire.   Épidémiologie   La prévalence du tabagisme dans le monde est en moyenne de 20,8 % chez le DT2 et varie selon les populations ; elle est d’environ 10 à 39 % chez les patients les DT1. En France, les données récentes de l’étude ENTRED 3 montrent une prévalence de 13,4 % chez les DT2 et 25,3 % chez les DT1, soit environ 410 000 patients (figure 1), sachant que la prévalence du tabagisme quotidien dans la population générale est de l’ordre de 25 %. Figure 1. Épidémiologie du tabagisme dans la population diabétique dans le monde et en France. (D’après Durlach V. Tabagisme et diabète : le temps de l’action. Bull Epidémiol Hebd 2022 ; 22 : 392-8.)   Tabagisme, composition corporelle, insulinorésistance et insulinosécrétion   Il existe un lien très probable entre le tabagisme et l’accumulation de graisse viscérale qui fait le lit du syndrome métabolique. En effet, si le fumeur présente en moyenne un poids inférieur à celui du non-fumeur, il présente en revanche un excès de tissu adipeux abdominal avec un rapport taille/hanche plus élevé qui s’associe à une dégradation de la tolérance au glucose et des index d’insulinosensibilité (IS) avec une insulinorésistance (IR). Les mécanismes de l’IR sont discutés et possiblement liés : – à la nicotine (principalement étudiée) : par stimulation de la production d’hormones de contre-régulation glycémiques (catécholamines, cortisol, hormone de croissance), effet antiestrogène et augmentation de la lipolyse du tissu adipeux et de la sécrétion des VLDL (Very Low Density Lipoprotein) hépatiques (figure 2) ; – au caractère pro-inflammatoire de la fumée de tabac induisant une inflammation de bas grade ; – à une dysfonction endothéliale consécutive au stress oxydatif médié par l’hypoxie causée par le CO ; – un rôle possible des métaux lourds contenus dans la fumée de cigarette (arsenic, plus que plomb, mercure ou cadmium) a également été évoqué, sachant que la fumée de tabac contient de l’ordre de 4 000 substances. Cette IR est favorisée par le tabagisme actif (+40 %), mais également par le tabagisme passif (+28 %), des facteurs génétiques de prédisposition touchant en particulier le récepteur cholinergique à la nicotine pourraient également intervenir, elle est réversible lors de l’arrêt du tabagisme. Figure 2. Mécanismes impliqués dans l’association entre tabac et diabète. (D’après Durlach V. Tabagisme et diabète : le temps de l’action. Bull Epidémiol Hebd 2022 ; 22 : 392-8.)   En ce qui concerne l’IS, des récepteurs nicotiniques ont été identifiés au niveau des terminaisons présynaptiques sympathiques des îlotsβ-pancréatiques et des récepteurs post-synaptiques. Le tabagisme est associé à une diminution de la fonctionβ-cellulaire, mais les potentiels mécanismes médiés par la nicotine restent insuffisamment documentés.   Tabagisme et DT2   Les données de nombreuses études d’observation suggèrent que le risque relatif de prédiabète et de DT2 est augmenté de 37 à 44 % chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs dans différentes populations (caucasiennes, asiatiques, etc.). Ce risque augmente de manière dose-dépendante et a été confirmé par plusieurs méta-analyses récentes sur des données prospectives ; à l’opposé, ce risque diminue avec l’arrêt de consommation de tabac (-30 à -40 %) notamment après 10 ans de sevrage. De manière intéressante, le risque de DT2 semble plus marqué chez les hommes que chez les femmes fumeuses dans certaines cohortes, sans explications claires à ce phénomène. Le tabac apparaît donc comme un facteur de risque indépendant et modifiable de diabète de type 2 dans la population. Notons également un surcroît de risque de DT2 lié pour 68 % à la prise de poids lors du sevrage tabagique chez le non-diabétique ; celui-ci est plus marqué 5 à 7 ans après le sevrage, est proportionnel à l’importance de la prise de poids et décroît progressivement dans le temps pour rejoindre un risque équivalent à celui du non-fumeur seulement après 30 ans.   Tabagisme, mortalité et complications du diabète   Chez le DT2 comme chez le DT1, le tabagisme actif constitue le principal facteur de risque de mortalité toutes causes avant même l’équilibre glycémique, lipidique ou tensionnel. Le bénéfice du sevrage sur ce risque de mortalité toutes causes est d’autant plus important que le sevrage aura été précoce. Chez le patient diabétique de type 1 et de type 2 le tabagisme actif est également un facteur de risque des complications macro-angiopathiques du diabète (infarctus du myocarde, AVC, artériopathie des membres inférieurs) et le risque augmente de manière dose-dépendante. En ce qui concerne la microangiopathie, le rôle du tabagisme comme facteur de risque de rétinopathie diabétique est établi chez les patients atteints de diabète de type 1, mais discuté chez les patients atteints de diabète de type 2. Il est connu comme un facteur de risque de néphropathie diabétique chez le DT2. Il existe enfin une association positive entre tabagisme et neuropathie diabétique prouvée dans le DT1, mais discutée dans le DT2. Les mécanismes impliqués dans l’aggravation des complications micro et macroangiopathiques sont complexes et intriqués : liés à l’IR (hypertriglycéridémie, diminution du HDL-cholestérol, peroxydation des LDL, etc.) ainsi qu’à la dysfonction endothéliale associant spasme et thrombose favorisée par l’hypoxie (CO-dépendante) et l’inflammation de la paroi artérielle. La consommation de tabac chez les sujets diabétiques (la majorité des données concernant les DT2) est associée à un sur-risque de survenue de cancer avec un risque relatif fumeur/non-fumeur de l’ordre de 1,6 ; elle est également associée à un excès de mortalité par cancer avec un risque relatif fumeur/non-fumeur de l’ordre de 1,4 ; cet excès décroît avec le sevrage tabagique. Les sujets diabétiques fumeurs actuels ont également un risque plus élevé d’hospitalisation pour infection par rapport aux sujets diabétiques non-fumeurs avec un risque relatif de l’ordre de 1,3. Le tabagisme est associé avec un risque d’amputation plus élevé chez les patients diabétiques avec un pied infecté. La consommation du tabac chez les sujets diabétiques enfin est associée avec un risque accru de survenue et de progression de parodontopathies.   Tabagisme, diabète, et dépression   Le patient DT2 est plus volontiers dépressif que le non-diabétique, ce, d’autant plus qu’il fume plus de 11 cig/j. Il existe une relation positive entre le nombre de cigarettes fumées et la sévérité du syndrome dépressif et le tabagisme s’associe à une dégradation de la qualité de vie du patient diabétique ainsi qu’à une augmentation des comorbidités. La présence fréquente d’un syndrome dépressif chez le diabétique rend le sevrage d’autant plus difficile à appréhender. Le tabagisme apparaît donc comme un facteur de risque indépendant de dépression chez le patient DT2 et sa prévention doit être considérée afin de limiter le risque de développement d’une symptomatologie dépressive. Chez le patient DT1, les données sont limitées et ne permettent pas de conclure.   Tabagisme, diabète et femme   Dans la majorité des études prospectives, le tabagisme pendant la grossesse s’associe à une augmentation du risque de diabète gestationnel (DG) chez la femme fumeuse (OR 1,65), puis de diabète patent ; à l’opposé, l’absence de tabagisme et le sevrage du tabac (associée aux règles hygiéno-diététiques) diminuent le risque de diabète gestationnel. Le tabagisme maternel majore le risque de retard de croissance intra-utérin, fausse couche précoce, grossesse extra-utérine, anomalie congénitale, hématome rétroplacentaire, placenta prævia, prématurité, mort fœtale in utero, césarienne, petit poids de naissance (lui-même facteur de risque de surpoids), obésité abdominale et DT2 pour l’enfant, probablement par des mécanismes épigénétiques. Dans un contexte de diabète gestationnel chez les femmes fumeuses, l’équilibre glycémique apparaît globalement moins bon avec une plus grande fréquence d’instauration d’une insulinothérapie. De plus, les enfants de femmes fumeuses ont un risque de DT2 augmenté de 34 % en cas de tabagisme actif et de 22 % en cas de tabagisme passif. L’association tabagisme, obésité et DT2 par ailleurs responsable de l’augmentation préoccupante de l’incidence de la maladie coronarienne chez la femme. Dans le diabète de type 1, nous manquons de données.   Tabagisme et équilibre glycémique   L’HbA1c est plus élevée chez les fumeurs actifs (+0,12 % par 20 paquets/année) non DT2 et les ex-fumeurs (+0,03 %) que chez les non-fumeurs ; l’augmentation d’HbA1c observée est corrélée à celle de la cotinine urinaire (catabolite de la nicotine). Chez les patients DT1, DT2 et les patientes porteuses d’un diabète gestationnel, le tabagisme actif est associé à une détérioration de l’équilibre glycémique avec une relation dose-dépendante en fonction de la sévérité du tabagisme. Lorsque le diabétique est traité, son équilibre glycémique est de moins bonne qualité lorsqu’il est fumeur ; s’il est traité par l’insuline, une résorption retardée de l’insuline pourrait participer d’un équilibre glycémique plus instable, en particulier chez le DT1. Le risque d’hypoglycémies sévères est également augmenté. L’ensemble de ces éléments souligne donc : – l’intérêt de ne pas devenir fumeur lorsque l’on est à risque de diabète afin de prévenir la survenue d’un diabète gestationnel ou d’un diabète patent ; – la nécessité du sevrage tabagique chez les patients DT1 et DT2 fumeurs afin de diminuer la mortalité toute cause et/ou cardio-vasculaire, de réduire et/ou limiter les complications microangiopathiques (tableau).   Sevrage tabagique chez le diabétique   Les recommandations ESC-EASD 2019 soulignent l’intérêt et la nécessité du sevrage tabagique chez les sujets prédiabétiques ou diabétiques (classe I, niveau A), même si cette mesure thérapeutique essentielle n’est pas suffisamment prise en considération par les professionnels de santé en diabétologie. Il ne fait cependant l’objet que de peu d’études reposant sur des interventions psychocomportementales (intervention brève, entretien motivationnel (EM), soutien téléphonique, autosupport numérique, activité physique, éventuellement intégrés dans des programmes d’éducation thérapeutique), associées ou non à une intervention pharmacologique (substitution nicotinique (SN), utilisation de bupropion ou de varénicline). Ainsi l’EM montre un bénéfice, avec 1,4 à 7 fois plus de sevrage du tabac chez les patients diabétiques (types 1 et 2). Soulignons que 85 % des études ayant montré un bénéfice de l’EM, proposent des aides pharmacologiques dans le groupe intervention, ce qui ne permet pas de juger de l’efficacité de l’EM seule dans le sevrage tabagique. L’étude de Canga et coll. montre, dans un groupe de 280 DT2, qu’une intervention d’aide au sevrage pratiquée par une infirmière tabacologue associant entretien, SN si nécessaire et suivi personnalisé permet une réduction significative de la consommation tabagique à 6 mois comparativement aux soins habituels de simples conseils d’arrêt (17,0 % vs 2,3 %, p < 0,001). Des études d’intervention thérapeutique portant sur des effectifs plus larges de patients diabétiques sont donc nécessaires en l’absence de données spécifiques et de qualité suffisante pour évaluer l’efficacité et la tolérance chez les patients DT1 et DT2. Il existe un accord des spécialistes pour considérer la transposition des résultats des évaluations venant de la population générale non diabétique fumeuse vers celle des diabétiques fumeurs (tableau). Chez les patients diabétiques, l’arrêt du tabac doit être associé à des mesures hygiénodiététiques renforcées, notamment dans les premières années suivant l’arrêt. Dans l’année suivant le sevrage, une surveillance resserrée des paramètres glycémiques et du poids est nécessaire. Aucune donnée à ce jour ne permet de recommander de modifications du traitement antidiabétique secondairement au sevrage, mais dans certains cas celui-ci devra être renforcé et l’intérêt des agonistes du GLP1 dans ce contexte mérite d’être évalué. Le sevrage tabagique se heurte par ailleurs, comme chez les non-diabétiques, à la question sensible de la prise de poids, susceptible de dégrader l’équilibre glycémique et contre laquelle le patient diabétique est sensibilisé en permanence. Une méta-analyse portant sur 62 études a montré que celles-ci, bien que fréquente (4 à 5 kg après 12 mois d’abstinence), survient essentiellement dans les 6 premiers mois suivant le sevrage, n’est pas inéluctable (16 à 21 % des sujets perdent du poids), et ce quels que soient les traitements utilisés (substitution nicotinique, bupropion, varénicline). Elle semble être plus importante chez les femmes par rapport aux hommes, mais les données de la littérature sont limitées et parfois contradictoires. De plus, le bénéfice du sevrage tabagique, essentiellement évalué chez le DT2 en particulier sur le plan de la mortalité totale et cardio-vasculaire, est significativement supérieur sur le long terme au réel inconvénient représenté par la prise de poids et/ou la dégradation de l’équilibre glycémique chez le diabétique. Figure 3. Complications du tabagisme dans la population diabétique. (D’après Durlach V. Tabagisme et diabète : le temps de l’action. Bull Epidémiol Hebd 2022 ; 22 : 392-8.) CHC : carcinome hépato-cellulaire ; DT1 : diabète de type 1 ; DT2 : diabète de type 2 ; IDM : infarctus du myocarde ; AVC : accident vasculaire cérébral ; LDL-C : Low-Density lipoprotein ; TG : triglycérides ; HDL : High-Density lipoprotein. Conflits d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cet article, mais déclare par ailleurs : avoir participé à des essais cliniques pour les Laboratoires Amgen, Sanofi, Bioprojet, à des conférences, colloques ou actions de formation pour les Laboratoires Amgen, Sanofi et Servier, MSD et pour Preuves et Pratiques ; avoir été pris en charge (transport, hôtel, repas), à l’occasion de déplacement pour des congrès, par les Laboratoires Servier, Amgen, Sanofi, Novo. Pour en savoir plus • Berlin I et al. Tobacco smoking and diabetes. A comparative survey among diabetologists and smoking cessation specialists. Prim Care Diabetes 2024. • Durlach V et al. Smoking and diabetes interplay: A comprehensive review and joint statement. Diabetes Metab 2022 : 101370. • Durlach V. Tabagisme et diabète : le temps de l’action. Bull Epidémiol Hebd 2022 ; 22 : 392-8. • Aarsand R et al. Tobacco and diabetes: WHO tobacco knowledge summaries. ISBN 978-92-4-008417-9 (electronic version).

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