Obésité
Publié le 09 déc 2024Lecture 12 min
Les médicaments de gestion de l’obésité : évolutions, innovations et défis
Camille SOLLIER, David JACOBI, Université de Nantes, CHU de Nantes, CNRS, INSERM ; Institut du thorax, Nantes
La pharmacothérapie de l’obésité a connu des échecs notables, marqués par le retrait de nombreuses molécules, en raison d’effets secondaires cardiovasculaires ou psychologiques. Nous vivons une nouvelle ère thérapeutique avec l’introduction de médicaments analogues d’hormones digestives ou de neuropeptides impliqués dans la régulation de l’équilibre énergétique et du comportement alimentaire. Ces nouvelles thérapies visent à modifier plus directement les mécanismes biologiques sous-jacents à l’obésité, avec de meilleurs résultats en termes de perte de poids et de sécurité d’utilisation.
Comme pour d’autres pathologies chroniques telles que l’hypertension ou le diabète de type 2, un traitement pharmacologique prolongé de l’obésité doit être envisagé en complément des modifications thérapeutiques du mode de vie.
La terminologie est cruciale. L’obésité, un déséquilibre complexe de la balance énergétique influencé par divers facteurs environnementaux, comportementaux, génétiques et neuro-endocriniens, aboutissant à une pathologie chronique, nécessite des « médicaments de gestion de l’obésité » (MGO). Le terme « médicaments anti-obésité » est trompeur et ne devrait plus être utilisé. Les MGO visent à améliorer la qualité de vie et à réduire les complications en favorisant la perte de poids et le contrôle des facteurs de risque. Actuellement, six médicaments sont approuvés par l’agence européenne du médicament (tableau).
Outre les considérations économiques liées aux coûts et à l’accès aux traitements, il est essentiel d’examiner l’impact à long terme sur l’efficacité et la sécurité des médicaments. Les aspects culturels et sociaux, incluant la stigmatisation associée aux interventions pharmacologiques, ainsi que les préférences et la qualité de vie des patients doivent également être pris en compte.
Cet article explore les nouveaux développements dans le domaine, mettant en lumière les avancées récentes ainsi que les défis persistants liés à la sécurité, à l’efficacité à long terme et à l’accès aux MGO.
Les médicaments historiques
L’évaluation des MGO doit prendre en compte les échecs antérieurs qui ont clairement mis en lumière les défis en termes de rapport bénéfice/risque de l’aide pharmacologique à la perte de poids.
Agents découplant de la phosphorylation oxydative
Le 2,4-dinitrophénol (2,4-DNP), un agent découplant de la respiration mitochondriale utilisé dans les années 1930 pour son effet thermogénique et amaigrissant, a été interdit en 1938 en raison de cas mortels.
Coupe-faim noradrénergiques
Dans les années 70, l’aminorex a été retiré du marché pour des cas d’hypertension pulmonaire et la méthamphétamine à cause d’anomalies cardiaques et de problème d’addiction. Le diéthylpropion et la phentermine, mis sur le marché dans les années 1950, ont été associés à des décès, et la phentermine a été retirée de la plupart des marchés en 1981, sauf aux États-Unis.
Coupe-faim sérotoninergiques
La fenfluramine et la dexfenfluramine, agonistes des récepteurs 5-HT2C, ont été retirées du marché en 1997 en raison de problèmes cardiaques. Le benfluorex (Mediator®), commercialisé pour le diabète de type 2, a été retiré en 2009 pour les mêmes effets secondaires liés à la norfenfluramine, un métabolite commun aux trois molécules. La sibutramine, un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la norépinéphrine, a été approuvée aux États-Unis et en Europe. Cependant, suite aux résultats de l’essai randomisé contrôlé contre placebo SCOUT montrant un sur-risque d’événements cardiovasculaires (risque relatif 1,16), elle a été retirée du marché en 2010(1). La lorcaserine, un agoniste sélectif du récepteur 5-HT2C, n’a pas obtenu d’auto - risation en Europe en raison de risques psychiatriques et cardiaques. Cette molécule avait été retirée du marché américain en 2020 en raison de soupçons d’augmentation des cancers.
Inhibiteur sélectif du récepteur cannabinoïde CB1
Le rimonabant, un inhibiteur sélectif du récepteur cannabinoïde CB1, a été approuvé en Europe en 2006. Il favorisait une perte de poids et améliorait les facteurs de risque cardiométaboliques(1). L’essai cardiovasculaire CRESCENDO a été interrompu en raison d’un surrisque de dépression et de suicide, conduisant au retrait mondial du rimonabant en 2008(2).
Association de naltrexone et de bupropion
L’action synergique de la naltrexone, un antagoniste des récepteurs opiacés utilisé pour la dépendance, et du bupropion, un inhibiteur de la recapture des catécholamines et antagoniste nicotinique utilisé pour le sevrage tabagique, a conduit à leur combinaison pour traiter l’obésité. Cette association a été autorisée aux États-Unis en 2014 et en Europe en 2015. En France, l’ANSM a exprimé des réserves en raison des similitudes du bupropion avec les amphétamines.
Association de phentermine et de topiramate
Le topiramate, un antiépileptique, en association avec la phentermine a été autorisée aux États-Unis en 2012. L’essai de phase 3 SEQUEL sur 108 semaines a confirmé une perte de poids de 9,3 % et 10,5 % pour les dosages de 7,5/46 mg et 15/92 mg contre 1,8 % pour le placebo(3). En 2011, l’ANSM a alerté sur le risque d’utilisation détournée du topiramate pour la perte de poids.
Diminution de l’absorption des graisses
L'orlistat est un inhibiteur des lipases gastro-intestinales, autorisé en France. Les effets secondaires (douleur abdominale, selles grasses, flatulences, incontinence fécale) diminuent avec le temps et un régime faible en graisses aide à les minimiser. L’essai randomisé XENDOS a montré une réduction de poids de 2,8 kg et une baisse de 37 % du risque de diabète sur quatre ans comparé au placebo(4).
Les nouveaux MGO
Analogues d’hormones intestinales
Les hormones intestinales, telles que le glucagon-like peptide-1 (GLP-1), le peptide YY, le polypeptide inhibiteur gastrique (GIP), le glucagon, la cholécystokinine et l’oxyntomoduline, jouent un rôle crucial dans la régulation de l’apport alimentaire et du métabolisme. La chirurgie bariatrique augmente les niveaux circulants de ces hormones, ce qui améliore le diabète de type 2 avant même la perte de poids et participerait au maintien à long terme de la perte de poids. Des analogues sont évalués pour traiter l’obésité.
Analogues du glucagon like peptide-1 (aGLP-1)
Le GLP-1, sécrété après les repas, a plusieurs effets : il augmente la sécrétion d’insuline et réduit celle de glucagon de manière glucose-dépendante, ralentit la vidange gastrique, augmentant la satiété et diminue la faim via une action hypothalamique.
Le liraglutide 3 mg/jour, autorisé pour la perte de poids en 2014 aux États-Unis et en 2015 en Europe, a montré une réduction significative du poids dans l’étude SCALE, avec 63,2 % des participants perdant au moins 5 % de leur poids et 33,1 % au moins 10 %, contre 27,1 % et 10,6 % avec le placebo(5). Le sémaglutide 2,4 mg/semaine a été évalué pour la gestion de l’obésité dans les essais cliniques de phase 3 STEP (Semaglutide Treatment Effect in People with obesity) chez des adultes non diabétiques et des patients diabétiques de type 2. Les études se concentraient sur la perte de poids, les profils de sécurité, et l’impact sur les facteurs de risque cardiovasculaires et les pathologies associées à l’obésité. Dans l’essai STEP 1, la perte de poids était de 14,9 % avec le sémaglutide à par semaine après 68 semaines, contre 2,4 % pour le placebo. Une forme orale quotidienne du sémaglutide pourrait offrir une efficacité comparable à la forme injectable hebdomadaire(6).
Multi-agonistes et agonistes combinés des récepteurs des hormones intestinales
Le tirzépatide est un agoniste des récepteurs du GLP-1 et du GIP. Le programme de phase 3 SURMOUNT a évalué l’efficacité et la sécurité du tirzépatide pour la gestion de l’obésité et du surpoids, chez des patients avec et sans diabète de type 2 et mesurent la perte de poids, les changements dans les paramètres métaboliques, ainsi que la sécurité et la tolérance du médicament. Dans l’essai SURMOUNT 1, la perte de poids était de 20,9 % avec le tirzépatide 15 mg par semaine après 72 semaines, contre 3,1 % pour le placebo(7).
Leptine et agonistes du MC4R
La découverte de la leptine en 1994 a ouvert la voie à la compréhension du rôle des hormones périphériques dans la régulation de l’équilibre énergétique par le cerveau. Le déficit génétique en leptine entraîne une hyperphagie extrême avec obésité. La métréleptine, un analogue recombinant de la leptine humaine, est approuvée pour le traitement de rares syndromes lipodystrophiques.
Les agonistes du récepteur MC4R ciblent des neurones hypothalamiques spécifiques pour induire la satiété. Le setmélanotide a été approuvé pour le traitement de l’obésité liée à des déficiences génétiques spécifiques. Il diminue le poids chez les personnes déficientes en MC4R (forme la plus fréquente d’obésité monogénique)(8), déficientes en POMC(9) ou en récepteurs de la leptine(10).
Médicaments en développement
Les recherches actuelles en pharmacothérapie de l’obésité visent à améliorer la régulation du métabolisme et de la faim à travers des mécanismes hormonaux complexes. Parmi les médicaments en cours d’évaluation en phase 3, on trouve des agonistes non peptidiques du GLP-1 et des agonistes ciblant plusieurs récepteurs hormonaux (figure) :
• Orforglipron : analogue non peptidique du GLP-1 administré par voie orale une fois par jour, bénéficiant du programme de phase 3 (ATTAIN) pour l’obésité.
• Survodutide : analogue double agoniste du GLP-1 et du glucagon en injection hebdomadaire, ayant montré des résultats prometteurs sur la perte de poids lors des essais de phase 2 et bénéficiant du programme de phase 3 (SYNCHRONIZE) pour l’obésité.
• Rétatrutide : triple agoniste du GLP-1, du glucagon et du GIP en injection hebdomadaire, visant à offrir un contrôle accru de la faim et de la dépense énergétique, avec un programme de phase 3 (Triumph) pour l’obésité.
• Cagrilintide : analogue de l’amyline étudié en combinaison avec le sémaglutide en injection hebdomadaire lors des essais de phase 2, et bénéficiant du programme de phase 3 (REDEFINE) pour l’obésité.
Par ailleurs, les résultats des essais de phase 2 pour le MariTide, un anticorps monoclonal avec antagonisme du GIP et agonisme du GLP-1 en injection mensuelle, sont attendus en 2024.
Figure 1. Les médicaments de gestion de l’obésité approuvés (voir détail du tableau) et en développement dans des essais cliniques de phase 3 (phase 2 en cours pour le MariTide).
Tissus adipeux bruns et beiges
Le tissu adipeux brun chez l’homme oxyde les lipides en produisant de la chaleur, ce qui en fait une cible thérapeutique potentielle dans le traitement de l’obésité. Les agonistes du récepteur β3-adrénergique stimulent le tissu adipeux brun des rongeurs, une activité retrouvée chez l’homme avec le mirabégron. Testé chez des adultes en situation d’obésité, le mirabégron a amélioré l’homéostasie glucidique sans entraîner de perte de poids(11). Chez la souris obèse, le Fibroblast Growth Factor 21 (FGF21) induit la thermogenèse du tissu adipeux brun et favorise le brunissement du tissu adipeux. Plusieurs essais cliniques ont testé l’effet d’analogues du FGF21 sur l’obésité et ses complications (diabète, MASLD)(12).
Réduire la masse grasse et augmenter la masse musculaire dans l’obésité
Le bimagrumab est un anticorps monoclonal qui inhibe l’activité de la myostatine, une protéine régulatrice de la croissance musculaire. En bloquant la myostatine, le bimagrumab peut aider à réduire la masse grasse tout en augmentant la masse musculaire. Ce traitement pourrait offrir une nouvelle approche pour gérer l’obésité et améliorer la composition corporelle.
Les accès précoces en France
En France, le programme d’accès précoce permet l’utilisation de médicaments pour traiter, prévenir ou diagnostiquer des maladies graves ou rares lorsqu’aucun traitement approprié n’est disponible sur le marché. Les médicaments éligibles doivent avoir une efficacité et une sécurité d’emploi fortement présumées d’après les résultats d’essais thérapeutiques. De plus, une demande d’autorisation de mise sur le marché doit être en cours. Enfin, le médicament doit présenter un bénéfice clinique réel et la mise en œuvre du traitement ne peut pas être différée.
• Le setmélanotide est approuvé en accès précoce depuis janvier 2022, pour les obésités monogéniques pro-opiomélanocortine, PCSK1 ou récepteur à la leptine, pour le syndrome de BardetBiedl, et plus récemment pour l’obésité due à une lésion hypothalamique.
• Le sémaglutide 2,4 mg a été approuvé en autorisation temporaire d’utilisation en mars 2022 puis en accès précoce pour les adultes ayant un IMC initial ≥ 40 kg/m2, présentant au moins une comorbidité liée au poids. Ce médicament est indiqué en complément d’un régime hypocalorique et d’une augmentation de l’activité physique. Le fabricant a demandé son retrait de ce dispositif.
Perspectives pour les MGO
Médecine personnalisée
Chaque intervention de prise en charge de l’obésité, qu’il s’agisse des programmes d’intervention sur le mode de vie, de médicaments ou de chirurgie bariatrique et métabolique, a une efficacité très variable selon le patient. Cela souligne l’importance d’une approche personnalisée. Il sera crucial d’explorer la possibilité de tester différentes approches de manière séquentielle ou en combinaison, afin de déterminer les stratégies les plus efficaces pour chaque patient, en tenant compte de la sévérité initiale et des résultats des traitements.
Sécurité cardiovasculaire
Les programmes de développement de phase 3 des agonistes du GLP-1 et des multi-agonistes incluent des essais de prévention cardiovasculaire. Les données de l’essai SELECT sur la prévention secondaire cardiovasculaire montrent une réduction significative des événements cardiovasculaires chez 17 000 patients en situation d’obésité suivis pendant plus de 3 ans contre placebo(13). D’autres essais cardiovasculaires sont en cours ou prévus pour le tirzépatide, le rétatrutide, ou la combinaison cagrilintide-sémaglutide.
Pharmacothérapie et chirurgie bariatrique et métabolique
Pour l’obésité de grade 4 ou plus (IMC > 50), les MGO avant la chirurgie (néo-adjuvant) pourraient faciliter une baisse de poids préopératoire et réduire les risques opératoires. Les MGO après la chirurgie (adjuvant) pourraient aider à atteindre et maintenir les objectifs de poids à long terme, évitant ainsi une reprise chirurgicale. Deux essais ont évalué le liraglutide en adjuvant : GRAVITAS chez les patients diabétiques de type 2 avec perte de 6 kg supplémentaire à la dose de 1,8 mg(14) et BARI-OPTIMISE, une étude randomisée contrôlée contre placebo, perte en moyenne de 8,8 % de poids sous liraglutide 3 mg pour les patients ayant une perte pondérale < 20 % au moins 1 an après l’intervention contre 0,5 % pour le placebo(15).
Durée de traitement
Les études STEP-4 et SURMOUNT-4 montrent que les bénéfices de perte de poids du sémaglutide et du tirzépatide disparaissent après l’arrêt du traitement, indiquant un effet suspensif(16,17). Il est crucial que les patients et les cliniciens intègrent dans les plans de soins que ces médicaments nécessitent une administration continue pour des bénéfices durables.
Gestion des comorbidités
De nombreux essais cliniques évaluent actuellement si les MGO améliorent les complications sévères de l’obésité, telles que la stéatohépatite métabolique (MASH), l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (HFpEF), la gonarthrose, et le syndrome d’apnée obstructive du sommeil (SAOS).
Sécurité à long terme
Les analogues du GLP-1 et les multi-agonistes sont réputés bien tolérés avec des effets secondaires principalement gastro-intestinaux fréquents mais en général facilement gérables. Le sur-risque de cholécystite est aussi ressorti des essais.
Les nouveaux MGO soulèvent néanmoins des questions sur leur sécurité à long terme. Parmi les effets secondaires non détectés lors des essais cliniques, l’utilisation du sémaglutide 2,4 mg en conditions réelles a révélé des complications chez les patients atteints de gastroparésie ou nécessitant une anesthésie. Le sémaglutide, en ralentissant la vidange gastrique, peut exacerber la gastroparésie et augmenter le risque d’inhalation de contenu gastrique durant l’induction anesthésique. Des protocoles spécifiques de gestion des aGLP-1 avant une anesthésie générale sont désormais recommandés. Avec une efficacité pondérale plus importante, une surveillance accrue des risques de dénutrition et de carences est nécessaire mais peu de données sont disponibles, notamment en vie réelle.
Accès et remboursement
L’accès aux aGLP-1 est limité par des problèmes de production et des pénuries depuis 2022, en raison d’une demande mondiale croissante. De plus, l’absence de remboursement limite l’accès des patients à ces traitements pour l’instant coûteux et souvent perçus comme des médicaments de confort. Cette situation souligne le besoin d’une reconnaissance de l’obésité en tant que pathologie chronique nécessitant des solutions à long terme.
CONCLUSION
La pharmacothérapie de l’obésité a évolué, allant de traitements aux effets modestes et risqués vers des options plus efficaces et sûres, exploitant notamment les mécanismes de régulation de la faim.
Il est néanmoins essentiel de poursuivre les évaluations pour assurer la sécurité et l’efficacité à long terme, les données en vie réelle étant insuffisantes.
Les questions de l’accès et du remboursement des médicaments de gestion de l’obésité restent ouvertes et doivent être abordées en tenant compte du caractère chronique de l’obésité.
David Jacobi déclare les conflits d’intérêt suivants en relation avec cet article : collaboration au cours des trois dernières années avec Novo Nordisk, Eli Lilly, Pfizer, Amgen.
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